Contre l’accoutumance
La SACD, a recensé les pourcentages de femmes dans le secteur culturel, théâtre par théâtre, festival par festival. Les chiffres sont rudes.
dans l’hebdo N° 1293 Acheter ce numéro
Le 8 mars, les femmes ont la parole. On les célèbre, on rappelle qu’elles méritent d’être considérées à l’égal des hommes, et on le fait par leur entremise. À elles d’argumenter, de défendre leur place, d’expliquer les raisons pour lesquelles on les infériorise. Elles ont un jour pour s’exprimer, c’est mieux que rien. Cela souligne que les femmes continuent à faire partie d’une minorité, quoi qu’en disent certains. Pour exposer et lutter contre cette situation, la brochure Où sont les femmes ?, éditée par la SACD, a recensé les pourcentages de femmes dans le secteur culturel, théâtre par théâtre, festival par festival. Les chiffres sont rudes. Pas moins de 88 % des centres dramatiques nationaux sont actuellement dirigés par des hommes. Dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2013, un seul film de femme parmi les vingt sélectionnés. On connaît les arguments de ceux qui contestent l’évidence de tels chiffres : nous ne choisissons pas en fonction du genre, mais du talent. Méconnaître à ce point-là les critères qui président à tout processus d’élection, aussi démocratique soit-il, faire semblant d’ignorer le poids de la reproduction des modèles, de l’entre-soi et de la peur dans les choix qu’opère toute commission, me sidère. « C’est à la vérité une violente et traîtresse maîtresse d’école que la coutume », disait Montaigne. « Elle établit en nous, peu à peu, à la dérobée, le pied de son autorité […]. L’accoutumance hébète nos sens. » Mais puisque le déni fait partie des symptômes de cette maladie qu’on appelle le désir de conservation, et que, de plus, les malades qui en sont atteints se déguisent sous les traits flatteurs de découvreurs de talents, il est nécessaire de prendre la parole pour le dire et espérer que, entre autres modes de combat, le travail de la langue et la manière de creuser de l’intérieur ses présupposés et ses attendus finiront un jour par porter leurs fruits.