Déchets : tu payes ce que tu pèses
Certaines communes ont expérimenté la redevance incitative sur la collecte des ordures ménagères, qui entrera en vigueur en 2015, suscitant parfois une vive opposition.
dans l’hebdo N° 1293 Acheter ce numéro
Les candidats aux municipales et les associations citoyennes ont découvert récemment que le meilleur moyen de faire salle comble, en dehors des très grandes villes, était d’organiser une réunion consacrée à la collecte des ordures ménagères. La gestion des poubelles, c’est plus fédérateur que la sécurité, l’emploi, les espaces verts ou la circulation. Peut-être les électeurs ont-ils le sentiment qu’il s’agit de l’un des rares domaines que les maires peuvent maîtriser, individuellement ou collectivement.
Pourtant, à partir de 2015, comme prévu par l’article 46 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement, communes ou communautés de communes devront introduire une part de redevance incitative dans la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères (Teom). Cette « part variable incitative [doit] prendre en compte la nature et le poids et/ou le volume et/ou le nombre d’enlèvements des déchets ». Objectif : réduire le volume des ordures ménagères et améliorer la qualité du tri. Les communes sont libres de fixer moyens et part de cette incitation. Cette loi responsabilise chaque citoyen alors que la Teom est fixée en fonction de la valeur cadastrale de la maison ou de l’appartement, quels que soient le nombre d’occupants et la quantité de déchets. La commune des Bordes, dans le Loiret, a tenté de mettre en place cette redevance incitative dans le cadre du Sictom de Châteauneuf-sur-Loire, syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères pour 64 communes comptant 85 000 habitants. Au cours d’une réunion organisée par un collectif de citoyens le 24 février, la mesure a été l’objet d’un vif débat. Parmi les intervenants favorables, quelques-uns défendaient le gain écologique, d’autres estimaient que, « comme pour l’eau, il faut une justice et donc payer en fonction de l’usage que chaque citoyen fait d’un service public ». Ils ont été immédiatement et majoritairement contrés par d’autres, expliquant « que trop de gens [avaient] commencé à déposer leurs ordures ailleurs, dans la poubelle du voisin ou dans la nature ». Avec, à l’appui, des récits rocambolesques de promenades nocturnes de riverains équipés de lampes de poche et profitant de la promenade du chien pour aller vider leurs sacs de déchets le plus loin possible de chez eux. « Pour payer moins ! »
Un autre intervenant a affirmé qu’avec le regroupement des communes les maires « ne peuvent plus rien dire ». Affirmation démentie par Loïs Lamoine, le maire PS de Châteauneuf, qui a rappelé que les mairies conservaient le pouvoir de faire verbaliser, au nom du respect de l’hygiène et de la propreté de leur territoire. C’est à une véritable jacquerie d’une partie de ses administrés – 2 000 manifestants sur 8 000 habitants – qu’a été confronté cet élu quelques semaines auparavant, après la mise en place de l’expérimentation de la taxe incitative. Et, mi-février, 200 « poubelles intelligentes », rapportées par des récalcitrants, ont même été incendiées. Loïs Lamoine a reconnu que la nouvelle redevance avait été mal expliquée, et surtout « qu’elle créait une nouvelle injustice en oubliant les familles nombreuses. Un service public, c’est un équilibre, et nous l’avons rompu. […] Donc nous avons arrêté et remis à plus tard la mise en route inévitable de cette part incitative […]. Mais je constate malgré tout que la perspective de cette mesure a déjà entraîné une baisse de 30 % du volume des ordures ménagères collectées » .
Au-delà des protestations et des violentes polémiques, des résultats similaires ont été enregistrés dans les communes ayant commencé à inciter leurs administrés à plus et mieux trier, voire à laisser – comme l’a suggéré un habitant des Bordes – les emballages dans les grandes surfaces. Des progrès ont été constatés, par exemple, dans la communauté de communes de Bischwiller et de Guebwiller en Alsace, à Besançon, dans les régions de Lunel (Hérault), du Pays de Gex (Ain), du Grésivaudan (Isère) ou d’Auxonne (Côte-d’Or). Dans le dessein de réduire les 350 kg annuels jetés par chaque Français. En Belgique, où un système de pesée des déchets grâce à une puce sur chaque conteneur a permis d’instaurer une redevance au poids, on est passé en un peu plus d’un an de 369 à 115 kg d’ordures par personne. Mais les industriels qui gèrent en France, avec profit, les installations d’incinération s’efforcent de freiner cette évolution, car la réduction des ordures collectées et l’amélioration du tri diminuent leur chiffre d’affaires. Et ils parviennent parfois à s’allier avec des citoyens un peu naïfs.