Éric Aubin : « Un texte sans contrepartie »
Négociateur pour la CGT, Éric Aubin conteste la valeur du pacte de responsabilité et dénonce les méthodes du Medef. Il annonce des relations « tendues » avec le patronat.
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L’accord portant sur les « contreparties » des aides aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité ne passe pas. Quatre syndicats (CGT, FO, FSU et Solidaires) appellent à des mobilisations le 18 mars.
Deux séances de négociation ont suffi aux partenaires sociaux pour signer un document sur le pacte de responsabilité, sans la CGT et FO. N’était-ce pas un marché de dupes ?
Éric Aubin : Oui, d’ailleurs nous nous sommes insurgés sur la méthode de négociation. Cela a été très vite, et le Medef a considéré que son texte n’était pas modifiable. Pour obtenir les signatures, il a tordu le bras à deux organisations syndicales, la CFTC et la CFE-CGC. En séance plénière, on ne peut pas avoir des négociations de couloir, lors de suspensions de séances qui durent quatre heures. L’objectif était d’obtenir la signature d’au moins trois organisations. Une fois les conditions créées, la négociation était pliée.
La CFDT déclare que le patronat a cédé devant les demandes d’engagements chiffrés en matière d’emplois, de classification et d’investissements. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes en désaccord profond avec cette déclaration. Nous avions, avec la CFDT et d’autres organisations syndicales, une demande commune portant sur l’évaluation des aides publiques aux entreprises, qui s’élèvent à 200 milliards d’euros chaque année, dans l’objectif d’étudier leur efficacité en matière d’emploi. Nous n’avons pas avancé sur ce sujet, bien que la CGT ait porté cette demande dans ses propositions. Nous avons reçu une fin de non-recevoir du patronat, et la CFDT ne nous a pas aidés. Les 30 milliards du pacte de responsabilité [20 milliards du CICE maintenus, plus 10 milliards d’allégements de cotisations à mettre en œuvre, NDLR] sont acquis pour les employeurs, sans qu’un effet vérifiable sur l’emploi soit exigé. En outre, dans le relevé de conclusion, il n’y a aucune obligation de négocier dans les branches : celles-ci auront le choix entre un relevé de décisions ou un accord. Si on dit aux branches qu’elles ont le choix entre discuter et négocier, elles choisiront le relevé de décisions, qui n’engage à rien. Il n’y a donc pas de contrepartie au niveau des branches. Car, s’il n’y a pas d’obligation de négociation, il n’y a aucune raison que les entreprises choisissent cette voie. On l’a vu dans les accords concernant les seniors, où il était demandé aux branches de négocier pour éviter une pénalité de 1 %. Elles ont majoritairement opté pour le plan d’action [ensemble de mesures prises unilatéralement par l’employeur, sans signature des organisations syndicales représentatives, NDLR] plutôt que la négociation. De plus, il n’y a pas de chiffrage en termes d’emploi et de qualité de l’emploi : on renvoie aux branches, sachant que, d’après un rapport de Jean-Denis Combrexelle, directeur général au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation [^2], le dialogue social ne fonctionne que dans environ 60 branches sur les quelque 650 existantes. Cela veut dire que l’on aura peu de négociations et de discussions dans les branches. Ce sera un flop !
En clair, pas de contrepartie…
Ce n’est qu’un texte d’intention. En aucun cas le Medef n’a été contraint de se plier aux exigences des organisations syndicales. Il n’y a aucune contrepartie. C’est un relevé de conclusion des réunions paritaires qui a été signé. Cela n’en fait pas un accord ; juridiquement, il n’a aucun statut. Ce n’est que de l’affichage qui servira au gouvernement et au président de la République pour expliquer encore une fois que l’on arrive à une évolution du dialogue social par la négociation avec les partenaires sociaux. D’autre part, la Commission européenne a réclamé les détails du pacte de responsabilité. Ce texte sert donc au niveau européen, il est l’affichage dont a besoin François Hollande à la veille des élections municipales et européennes.
Que ferez-vous les prochains jours ?
Nous appelons, avec FO, la FSU et Solidaires, à des mobilisations le 18 mars pour l’emploi, les salaires, la protection sociale et les services publics. Il s’agit aussi de s’opposer au pacte de responsabilité. Il y aura des discussions dans les branches autour de la modernisation du dialogue social, parce que les entreprises veulent remettre en cause les institutions représentatives du personnel par une « simplification » qui consisterait ni plus ni moins à les supprimer. Alors qu’on nous dit qu’il faut renforcer le dialogue social, on veut casser ce qui existe, comme on pouvait le lire dans le premier texte remis par le Medef dans la négociation sur le pacte de responsabilité. Les institutions représentatives du personnel sont considérées comme « un frein à l’emploi ». Les relations avec le patronat seront tendues dans les semaines à venir.
[^2]: Rapport sur la réforme de la représentativité patronale, octobre 2013. Lire aussi le rapport sur la négociation collective et les branches professionnelles de Jean-Frédéric Poisson, avril 2009.