Front national : la quantité pour objectif
Le parti de Marine Le Pen aligne des candidats dans 563 communes. Une performance obtenue au prix d’un recrutement contesté et d’une absence de programmes municipaux.
dans l’hebdo N° 1294 Acheter ce numéro
Marine Le Pen n’a pas attendu la clôture du dépôt des listes pour claironner ce qu’elle présente comme un « premier succès » de son parti aux municipales. « Jamais le Front national n’avait présenté autant de listes » dans une élection municipale, a martelé la direction du parti d’extrême droite, avançant le chiffre de 597 listes. Un coup de com’ destiné autant à légitimer en interne l’action de sa présidente qu’à impressionner ses adversaires politiques et les médias, jusque-là dubitatifs.
En 2001, la formation lepéniste, handicapée par la dissidence mégrettiste, n’avait pu en présenter que 225. Aux municipales de 2008, le FN, en pleine crise financière après son revers électoral des élections présidentielle et législatives de 2007, n’était parvenu à en constituer que 119. Mais c’est une barre autrement plus élevée que Marine Le Pen devait franchir pour faire taire les critiques sur sa manière de diriger le parti hérité de son père. En 1995, année de la conquête des villes de Toulon, Marignane et Orange, le FN avait aligné 558 listes. Dépasser ce « record » constituait son premier objectif. Il est atteint. Même si pour les besoins de sa communication, la nouvelle équipe dirigeante frontiste a un peu enjolivé son résultat. D’abord en choisissant de donner le nombre de ses listes plutôt que celui des communes où elle a des candidats. Ce qui lui permet de comptabiliser vingt listes à Paris, neuf à Lyon, huit à Marseille ; 597 listes donc, mais dans 563 communes de plus de 1 000 habitants. Ensuite en incluant dans ce décompte cinq villes où le FN n’est pas aux commandes de la liste, mais simplement associé. Notamment à Béziers (Hérault), où un accord a été passé avec Robert Ménard, et à Rodez (Aveyron), où des frontistes sont présents sur la liste du divers-droite Mathieu Danen. Les intéressés apprécieront d’apprendre qu’ils ont été comptabilisés dans les 20 589 candidats que revendique le FN – 20 204 en 1995. Enfin, et c’est une nouveauté, figurent dans ce total sept listes en outre-mer : cinq dans les principales villes de La Réunion (Saint-Denis, Saint-Pierre, Le Tampon, Saint-Louis, Saint-Benoît), les deux autres en Nouvelle-Calédonie (Païta, 18 000 habitants) et à Mayotte (Mtsamboro, 6 900 habitants). En affichant un nombre de candidatures légèrement supérieur à 1995, Marine Le Pen estime avoir enfin tourné la page de la scission mégrettiste qui, en 1998, avait grandement affecté le développement militant du parti. La similarité des chiffres masque toutefois de grandes différences d’implantation, tant sociologiques que géographiques.
Le FN version 2014 est plus présent dans les petites et moyennes communes des zones rurales et périurbaines, moins dans les grandes villes (voir tableau). Le 23 mars, il aura des candidats dans 381 communes de plus de 10 000 habitants (sur 950 environ), contre 416 en 1995. Alors que le parti en 1995 présentait des listes dans la totalité des communes de plus de 100 000 habitants ; le FN-2014 a échoué dans trois d’entre elles : Argenteuil, Montreuil et Saint-Denis. Trois villes de la banlieue parisienne emblématiques du net recul de la formation d’extrême droite en Île-de-France. Et c’est particulièrement flagrant en Seine-Saint-Denis. Dans les 40 communes de ce département populaire, le parti ne présente plus que 2 listes contre 33 en 1995, année où ses candidats avaient enregistré des scores canons : 31,7 % à Clichy-sous-Bois, 28,4 % à Bondy, 26,4 % à Pierrefitte, 26,1 % à Stains, 24,4 % à Saint-Denis et au Blanc-Mesnil, etc. Ce recul est aussi sensible dans le Val-de-Marne, où il passe de 25 à 10 listes, les Hauts-de-Seine (de 25 à 8), ainsi que dans le Val-d’Oise (de 15 à 8). En revanche, le FN renforce nettement son implantation dans deux bastions : le Pas-de-Calais (26 listes, contre 9 en 1995) et les départements du pourtour méditerranéen, tels que le Var (36 listes), les Bouches-du-Rhône (30 listes) ou l’Hérault (28 listes). Et couvre mieux l’ensemble du territoire en présentant plus de listes en Normandie, en Bretagne, Poitou-Charentes, Aquitaine et Midi-Pyrénées. En 1995, le FN n’avait aucune liste dans 16 départements, 13 en 2014.
« Le succès, a toutefois nuancé Marine Le Pen, ne sera complet que si les résultats viennent récompenser cet effort d’implantation. » Elle table sur un millier de conseillers municipaux pour reconstituer une implantation locale en vue des prochaines échéances électorales. Un chiffre qui ne paraît pas hors de portée : en 1995, le FN en avait fait élire 1 068. Mais l’objectif a son revers. Car si le FN estime « gagnables » dix à quinze villes, comme Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Brignoles et Fréjus (Var), Carpentras (Vaucluse), Beaucaire et Saint-Gilles (Gard), où, selon Nicolas Bay, secrétaire général adjoint et directeur de campagne pour les municipales, « souvent les équipes sont très solides, structurées, étoffées », ce n’est pas le cas de l’immense majorité des listes présentées. Les colistiers qui s’y trouvent n’y ont qu’une fonction : « Permettre l’existence de la liste. » Et assurer l’entrée au conseil municipal d’un ou deux élus. D’où un recrutement sujet à polémiques. Pour boucler leur liste, les candidats investis, souvent très jeunes ou inexpérimentés, ont dû proposer à des sympathisants, réticents à être candidats, d’’y figurer de manière anonyme, sans photo, sous leur nom de jeune fille pour les femmes, ou leur deuxième ou troisième prénom pour les hommes. Ils ont démarché ardemment les habitants ayant répondu à des questionnaires FN, une méthode éprouvée en 1995 et qui avait donné lieu aux mêmes contestations. En Seine-Maritime, à Grand-Quevilly, la liste FN a été retirée par la préfecture : 22 candidats, « malgré eux », sur 35, ont demandé leur retrait. À Elbeuf, six ont porté plainte, trois à Harfleur et un à Lillebonne. À Orléans, un couple de nonagénaires, dont la femme serait hospitalisée pour Alzheimer, affirme avoir été inscrit à son insu par leur fille. D’autres cas sont signalés à Chalon-sur-Saône et à Montbéliard… Autre complication à Nevers : une candidate s’affiche sur Facebook avec un drapeau nazi, un geste « condamné » par la tête de liste frontiste. Ce recrutement plus quantitatif que qualitatif se ressent à la lecture des programmes. La Voix du Nord a été surprise de découvrir qu’Hugues Sion, candidat à Lens, projetait d’aider financièrement « les associations participant à la promotion des cultures bretonne et française ». Absorbé par la constitution de sa liste, qu’il n’a pu boucler, ce candidat avait tout bonnement copié-collé sur sa page Internet le programme de la liste FN de Brest ; qui dénonçait par ailleurs un projet de téléphérique bien connu des Brestois, mais moins des Lensois.
Ce que les responsables numériques au siège du FN ont mis sur le compte d’une erreur n’en est pas une. Robert Dubois, Monique Lieumont-Briand, Bruno Paluteau, Michel Thooris, respectivement candidats à Bergerac (Dordogne), Saumur (Maine-et-Loire), Bègles (Gironde) et Carros (Alpes-Maritimes), et des dizaines d’autres candidats font, sur leur page Internet, au mot près, les mêmes propositions, très générales. Toutes recopiées d’un tract national sur lequel Marine Le Pen annonce « une nouvelle voie pour votre ville » sur un paysage… rural. Si les électeurs acceptent de s’y laisser prendre…