Justice : Première victoire pour Jérôme Kerviel
La Cour de cassation a confirmé mercredi 19 mars la condamnation de Jérôme Kerviel, ancien trader de la Société générale, à cinq ans de prison, dont trois ferme, mais a cassé celle qui lui avait infligé des dommages et intérêts records de 4,9 milliards d’euros. Pour le volet civil de l’affaire (les dommages et intérêts), la plus haute juridiction a renvoyé le dossier devant la cour d’appel de Versailles. Cette décision judiciaire a été saluée comme une « énorme victoire » par l’intéressé, qui rentre de Rome à Paris en marchant et se trouve actuellement près de Modène.
Énorme victoire! Merci pour vos soutiens et vos messages. Vous me portez. Je vous aime!!!#Rome-Paris pic.twitter.com/xftwezwYc5
— Kerviel Jérôme (@kerviel_j) March 19, 2014
Pourquoi une victoire ? Parce que l’annulation des dommages et intérêts, qui le condamnaient à vie à la mort sociale, ouvre un nouveau procès sur le montant des indemnités dont le calcul, jusqu’ici, n’a jamais été établi contradictoirement.
Certes, plus rien ne s’oppose désormais à ce que l’ancien trader, condamné au pénal par la cour d’appel de Paris, le 13 octobre 2012, pour abus de confiance, introduction frauduleuse de données, sur la base des centaines d’opérations fictives passées, ainsi que pour faux et usage de faux, en lien avec plusieurs courriers électroniques falsifiés, purge sa peine. Il a déjà effectué 41 jours de détention préventive et devrait donc purger le solde restant : 2 ans et 10 mois. Et il ne pourra pas bénéficier avant son incarcération d’un aménagement de peine, qui n’est ouvert qu’aux personnes condamnés à moins de deux ans d’emprisonnement. Le coup est donc rude pour Jérôme Kerviel, qui clame son innocence depuis le début de l’affaire.
Mais pour casser le jugement fixant le montant des dommages et intérêts, la Cour de cassation a estimé que la cour d’appel ne pouvait condamner l’ancien trader à réparer l’intégralité du préjudice subi par la Société générale, tout en reconnaissant « l’existence de fautes commises » par la banque. Ces fautes ont « concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières » , soulignent les juges qui font reproche à la cour d’appel de n’avoir pas pris en compte les fautes de chacun pour évaluer le montant des dommages et intérêts et de faire supporter au seul Jérôme Kerviel la réparation intégrale de la perte. Cette cassation est un coup de théâtre dans une affaire où la justice avait, jusqu’ici, été totalement sourde aux arguments de l’ancien trader et de sa défense, que ce soit lors du procès en première instance ou en appel, refusant même d’entendre à l’audience un témoin de la défense.
Ce nouveau procès sera « le procès de la Société générale » , a commenté Me Patrice Spinosi, un des avocats de Jérôme Kerviel. La banque va devoir prouver le montant de ses pertes. Ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici. La justice s’est contentée de l’estimation de la banque et a refusé les demandes de la défense de procéder à une expertise indépendante des comptes de la Société générale. L’État, quant à lui, a accepté pour compensation de ses pertes, et sur la seule base des déclarations de la banque, d’accorder à la Société générale un crédit d’impôt de 1,7 milliard d’euros qui, a minima, aurait donc dû réduire l’ardoise de Kerviel d’autant pour l’établir à 3,2 milliards d’euros.
Pour Me David Koubbi, autre avocat du trader, l’affaire repart « à zéro sur ce sujet » , qui n’est pas le moindre. Le conseiller régional d’Ile-de-France, Julien Bayou, engagé depuis l’été aux côtés de Jérôme Kerviel, rappelle dans un communiqué « qu’aux États-Unis, le procès de la “baleine de Londres” avait tourné au procès de son employeur JP Morgan, condamné à une amende record pour négligence » .
Communiqué de Julien Bayou: UNE AFFAIRE PEUT EN CACHER UNE AUTRE
AU-DELÀ DE KERVIEL, IL EST TEMPS QUE TOUTE LA LUMIÈRE SOIT FAITE SUR LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
La Cour de cassation a validé la peine de prison de l’ancien trader mais cassé la partie ayant trait aux dommages et intérêts, soit la somme grotesque de 4,9 milliards d’euros. La cour pointe également, et c’est décisif pour l’avenir, des carences dans le contrôle opéré par la banque.
C’est une bonne nouvelle pour l’ancien trader ; c’est aussi une bonne nouvelle pour le citoyen. Car demain s’ouvrira peut-être un nouveau procès, celui de la Société générale. Pour la première fois en effet, au-delà de sa stratégie de communication bien huilée, la banque devra prouver le montant de ses pertes. Pour mémoire, il faut se souvenir qu’aux États-Unis, le procès de la « baleine de Londres » avait tourné au procès de son employeur JP Morgan, condamné à une amende record pour négligence.
Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, la justice française s’était jusqu’ici contentée des déclarations de la banque pour établir le préjudice subi.
Il est grand temps qu’une enquête indépendante puisse éclairer la justice sur la réalité des pertes survenues lors du débouclage des positions de Jerôme Kerviel.
Le temps qui s’ouvre sera peut-être aussi enfin respectueux du contribuable. Jusqu’ici le Trésor s’est – lui aussi – contenté des déclarations de la banque pour valider sa demande de déduction d’impôts, ouvrant droit à un remboursement hallucinant de 1,7 milliard d’euros, le tout en complète contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État.
Pierre Moscovici s’était engagé à faire le point sur le dossier. À ce jour, il n’en a rien fait. Faute de réponse aux demandes de divulgation des enquêtes internes menées sur le sujet, j’ai donc déposé hier 18 mars un recours devant le Tribunal administratif (plus d’infos ici)
Maintenant que l’arrêt a été cassé, toute la lumière doit être faite sur les conditions de ce remboursement.
Si les cinq milliards sont annulés, qu’advient-il des 1,7 milliard remboursés ?
Les citoyens doivent pouvoir savoir qui a pris la décision d’octroyer cette somme équivalente à l’affaire Tapie alors que la jurisprudence ne le permettait pas.
Et tout devra être mis en œuvre pour récupérer les sommes trop perçues si ce remboursement était illégal et/ou si les jugements à venir réduisaient le préjudice.
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