Municipales : La Valls des étiquettes
Dimanche soir, à l’annonce des résultats, le ministre de l’Intérieur a de bonnes chances de se montrer satisfait du scrutin. Il s’est donné les moyens de masquer un recul du PS.
Manuel Valls, en communicant roué, n’ignore pas que l’interprétation d’une élection se joue au moins autant sur la lecture du scrutin que le résultat brut du vote des électeurs. C’est encore plus vrai dans le cas des municipales, scrutin où s’affrontent des listes de compositions diverses suivant des configurations politiques et des enjeux locaux. Pour pallier cette diversité, le ministère de l’Intérieur a pris l’habitude d’attribuer à chaque liste une nuance, ce qui permet ensuite de présenter un résultat national pour chaque nuance. Ce type de classement, s’il tend à se complexifier (on comptait 12 nuances en 1995 et 2001, 15 en 2008, 17 cette année), n’a donc rien d’une nouveauté.
Ce qui est nouveau en revanche, c’est « que le ministère de l’Intérieur a décidé cette année de dresser la liste des partis politiques qui définissent chaque nuance » , note le journaliste Laurent de Boissieu, sur son blog iPolitique. Or l’examen de ce document (consultable ci-dessous) destiné, selon notre confrère, à « faciliter et uniformiser le travail des préfectures » , est critiquable à deux titres.
Des raisons factuelles tout d’abord : Chasse pêche nature et tradition (CPNT) ne peut être classé dans la catégorie « Liste divers », ce parti étant depuis juin 2012 un mouvement associé à l’UMP ; « Liste divers droite » serait plus conforme. Le Rassemblement des contribuables français de l’escroc Nicolas Miguet relève également de cette catégorie, comme les autres mouvements anti-fiscalistes qui, depuis Poujade, se situent nettement à droite de l’échiquier.
Nuance Liste by Journaliste Libération
Un « PSocentrisme » partisan
Cette classification est, surtout, politiquement orientée. Elle vise clairement à noyer les scores du PS dans un ensemble « union de la gauche » conçu pour grossir le score dont se réclamera le gouvernement et lui permettre d’afficher un résultat supérieur à celui des listes « union de la droite ».
Pour être une liste union de la gauche (LUG), les conditions sont particulièrement souples, comme l’indique la grille du ministère : « Pour être nuancée LUG, une liste doit obtenir l’investiture du PS et d’au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Parti de gauche). Elle peut néanmoins être plus large en intégrant par exemple le MoDem. »
Outre que la Place Beauvau fait preuve d’un « PSocentrisme » partisan en considérant qu’il ne peut y avoir d’union de la gauche qu’avec le Parti socialiste, on est surpris d’apprendre que le MoDem peut être considéré par l’Intérieur comme une formation contribuant à l’union de la gauche. Politiquement, l’information est intéressante.
On notera toutefois que la condition requise pour décrocher le label « Liste union de la droite » (LUD) est plus exigeante puisque, dans ce cas, il faut deux investitures de taille : celle de l’UMP et celle de l’UDI. Et cerise sur le gâteau : le Front de gauche est atomisé en plusieurs étiquettes.
« Un tripatouillage de grande ampleur »
Ces nuances ont toutes les chances de brouiller la lecture du scrutin. Le Parti de gauche, qui le premier a dénoncé une « manipulation » de Manuel Valls lors d’une conférence de presse (ici en vidéo à partir de 20’55, ou encore ici) et « un tripatouillage de grande ampleur pour faire disparaître le Front de gauche » (lire ici), a relevé que les listes Front de gauche pouvaient certes parfois être étiquetées ainsi (LFG), mais plus souvent sous d’autres appellations : liste communiste (LCOM), liste PG (LPG), liste EELV (LVEC) quand la tête de liste est de cette étiquette, liste divers gauche (LDVG), ou liste d’extrême gauche (LEXG). En revanche, toutes les listes conduites par des maires communistes sortants, bien qu’il s’agisse pour la quasi-totalité d’entre elles de listes Front de gauche, sont étiquetées comme des « listes union de la gauche » dès lors que des candidats socialistes y figurent.
Plusieurs erreurs et aberrations ont été relevées par Jean-Luc Mélenchon sur son blog. Certaines ont été corrigées depuis, notamment à Besançon, mais il en reste encore, à deux jours du scrutin :
– À Saint-Denis, la liste FDG-EELV conduite par Didier Paillard (PCF) est étiquetée « Liste communiste ».
– À Paris, les listes PG-Ensemble-PCOF conduites par Danielle Simonnet n’ont pas eu droit à l’étiquette LFG mais sont nuancées LPG dans tous les arrondissements bien que les têtes de liste des IIe, VIIe, XIIIe et XIXe arrondissements soient des militants d’Ensemble et que celle du XVIIe arrondissement soit un communiste.
– À Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), la liste PS qui va à la baston contre la liste Front de gauche, conduite par la maire sortante communiste Jacqueline Rouillan, est réputée être une Liste union de la gauche puisqu’elle a le soutien d’EELV, du PRG et du MRC.
– À Montauban (Tarn-et-Garonne), la liste « Montauban citoyenne » qui rassemble toutes les formations du FDG, EELV, le NPA et un nombre important de citoyens est enregistrée comme une liste Divers gauche. A contrario, la liste PS-PRG de Roland Garrigues (qui évite de mettre en avant ses logos) est considérée comme une Liste union de la gauche.
– Etc.
Autre défaut du classement de Manuel Valls , pointé par Jean-Luc Mélenchon :
« La centaine de listes entre le Front de gauche ou le Parti de Gauche et Europe Écologie est aussi passée par pertes et profits, et réduite à la seule étiquette de leur tête de liste : liste FDG à Cholet, liste VEC (Europe Écologie) à Grenoble ou Bergerac. »
S’il est habituel de relever à chaque scrutin des erreurs de classification du ministère de l’Intérieur, ce que l’on a pu constater par sondage dépasse la norme ordinaire. Comment pourrait-il en être autrement quand ce sont les services préfectoraux qui attribuent aux listes les nuances, indépendamment de la volonté des têtes de liste ? Et selon un nuancier délibérément conçu pour masquer les reculs probables des soutiens du gouvernement ?
Dimanche, il conviendra donc de redoubler de vigilance à la lecture des résultats. Avec la multiplication des sites Internet intégrant directement dans leurs pages les données fournies par la Place Beauvau, recensant toutes les candidatures jusque dans le moindre village, la classification du ministère de l’Intérieur prend une importance accrue puisque toute erreur (intentionnelle ou non) se voit reproduite des dizaines de fois, au point que sa répétition peut lui donner l’apparence de la vérité.
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