Sur l’assassinat de Maurice Audin
Un appel sera lancé le 24 mars pour que l’exécution du jeune professeur à Alger en 1957 soit reconnue comme crime d’État.
dans l’hebdo N° 1295 Acheter ce numéro
Pendant la guerre d’Algérie, le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques à la faculté des Sciences, 25 ans, membre du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile par les hommes de la 10e division parachutiste, commandée par le général Massu, chargée alors par les autorités françaises du maintien de l’ordre à Alger. Il n’est jamais réapparu. Tout comme quelque trois mille Algériens arrêtés par ces mêmes parachutistes et disparus. Le secrétaire général de la police d’Alger, Paul Teitgen, ancien résistant déporté, qui avait compris qu’ils étaient voués à la torture et aux exécutions sommaires, avait demandé qu’une assignation à résidence soit établie pour chacun d’eux, pour qu’il en reste une trace. Teitgen a démissionné le 29 mars en écrivant : « Depuis trois mois nous sommes engagés […] dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre. » La répression frappe aussi les militants du PCA, interdit en septembre 1955. Audin est torturé par les parachutistes dans leur centre de détention d’El Biar, tout comme Henri Alleg, ancien directeur du journal Alger républicain , arrêté le lendemain au domicile d’Audin, qui témoignera dans la Question .
La jeune épouse d’Audin, Josette, enseignante elle aussi, reste seule avec leurs trois enfants – le dernier a juste un mois. Le 22 juin, elle reçoit la visite de deux parachutistes, qui lui disent : « Vous croyez le revoir un jour, votre mari… Espérez, vous pouvez toujours espérer… » et parlent de lui au passé. Le 1er juillet, l’un de leurs chefs, le colonel Trinquier, la reçoit et lui dit que, dix jours plus tôt, le 21 juin au soir, lors d’un transfert vers un autre centre d’interrogatoire, alors qu’il avait été assis seul, non menotté, à l’arrière d’une jeep, son mari se serait évadé.
Sachant que les prétendues disparitions de détenus lors d’une tentative d’évasion sont un mensonge courant pour couvrir des exécutions sommaires, elle n’y croit pas un instant. Elle accuse les parachutistes de l’avoir tué et dépose plainte contre X pour homicide volontaire. Cette conviction qu’Audin a été tué par les parachutistes qui le détenaient s’est rapidement propagée. Pierre Mendès France, par exemple, lors du congrès du parti radical à Strasbourg, les 23 et 24 novembre 1957, parle en termes catégoriques de son assassinat.
Josette Audin n’a cessé de demander la vérité, aidée par le professeur qui avait dirigé la thèse de doctorat de Maurice, pratiquement achevée, dont il organisa la soutenance in abstentia, le 2 décembre 1957, à la Sorbonne, devant un jury où figurait notamment le mathématicien Laurent Schwartz, soutenance qui était aussi une manifestation solennelle de l’université contre les pratiques de l’armée en Algérie.
Soirée organisée par la Ligue des droits de l’homme, Mediapart, l’Humanité, avec les Amis de l’Humanité et les Amis de Mediapart
Nous demandons la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin lundi 24 mars, de 19 h à 22 h au Tarmac 159, av. Gambetta, 75020 Paris
Film et débat en présence de Josette Audin, suivis d’un appel pour la reconnaissance de ce crime d’État et des violations massives des droits de l’homme par l’armée française durant la guerre d’Algérie.
Les confidences tardives d’Aussaresses, peu avant sa mort en décembre 2013, que le journaliste Jean-Charles Deniau rapporte dans son livre la Vérité sur la mort de Maurice Audin (éd. Équateurs), confirment non seulement le nom de l’assassin, mais surtout qu’il a été tué sur ordre du général Massu. Poignardé le 21 juin 1957 et enterré hors d’Alger, dans un lieu où les corps de centaines d’Algériens torturés sont aussi ensevelis. Tout indique que ce tortionnaire non repenti, habitué aux mensonges, qu’était Aussaresses a probablement dit, en l’occurrence, la vérité, et que la version de la mort accidentelle d’Audin n’avait été distillée par les responsables militaires et politiques impliqués que comme un « mensonge B » lorsque la thèse de l’évasion était rejetée. S’il y a eu un ordre de Massu, a-t-il été partagé par le ministre résident Robert Lacoste ? Par d’autres ministres au sein du gouvernement ? Visait-il à dissuader le PCA de se joindre à la lutte armée ?
L’important est que soit enfin reconnu que, comme l’a dit Pierre Vidal-Naquet, la torture ne fut pas seulement une pratique institutionnelle dans l’Allemagne d’Hitler et dans l’URSS de Staline, elle le fut aussi par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Germaine Tillion, qui sera bientôt honorée par le transfert de ses cendres au Panthéon, l’a dit aussi : « Il y a à ce moment-là, en 1957, en Algérie, des pratiques qui furent celles du nazisme. » Combien de temps les autorités françaises vont-elles continuer à se voiler la face sur ce point sombre de notre histoire contemporaine, auquel, fort heureusement, celle-ci est loin de se réduire, mais que la France se grandirait à reconnaître enfin ? Faisant écho à l’« Appel des douze » publié en 2000 par l’Humanité pour la reconnaissance de la torture durant la guerre d’Algérie, un appel sera lancé le 24 mars, lors d’une soirée au Tarmac, à Paris, par la Ligue des droits de l’homme, Mediapart et l’Humanité , pour la reconnaissance de ce crime d’État qu’a été l’assassinat de Maurice Audin, emblématique d’un ensemble beaucoup plus vaste de crimes coloniaux.