« Vous, les journalistes… »

Avec l’Horreur médiatique, Jean-François Kahn livre un nouveau coup de gueule sur l’uniformisation de l’information. En enfonçant pas mal de portes ouvertes.

Jean-Claude Renard  • 13 mars 2014 abonné·es

JFK remet donc le couvert. Comme un éternel retour, des adieux à la scène journalistique qui ne cesseraient de se renouveler. Avec un essai aux allures de pamphlet, teinté de pessimisme, sur le pluralisme. Ou plutôt sur le manque de pluralisme. En entonnant d’abord ce refrain devenu courant, une interjection à valeur de repoussoir jetée à la gueule des journalistes  *: « Vous, les médias ! »* Soit une caste, un univers clos. Du rubricard au pigiste, de l’éditorialiste au chef de rubrique. Qui ne reflète pas mais plaque, qui ne fait pas écho « à nos pensées mais tambourine nos cerveaux pour nous forcer à les taire », qui traque et matraque « tout ce qui ne pense pas comme vous ». Vous, les médias, donc, « qui nous intoxiquez […], nous submergez de l’écume des choses mais nous cachez l’essentiel »

Une vision en grande partie fantasmagorique, estime Jean-François Kahn. Mais alors, pourquoi cette appréhension des médias comme un tout uniforme ? Ben, ma p’tite dame, « cette sensation d’uniformisation correspond – et de plus en plus – à une certaine réalité », concède l’ancien patron de l’Événement du jeudi et fondateur de Marianne. À moins d’être frappé d’autisme, on a bien la réalité sous les yeux : « Chaque matin, chaque soir, les mêmes fugues entortillant les mêmes leitmotivs. Images et sons se mordant mutuellement la crête et la queue comme des “merlans en colère”. » « Trois quotidiens parisiens seulement [Libération, le Monde, le Figaro], lus – et de moins en moins – par la seule couche intellectuelle supérieure, portant deux sensibilités seulement […], aucun débat contradictoire ne s’instaurant jamais entre eux, contre treize journaux nationaux après la Libération, qui exprimaient de façon contrastée les divers courants d’opinion qui irriguaient la société… Trois organes, donc, fournissant l’essentiel des grilles de lecture (et parfois la même). » Au passage, Kahn oublie la Croix, l’Humanité et le Parisien. Un autre grief concerne la hiérarchisation de l’information, dont témoigne notamment le 20 heures. « Aujourd’hui, un double meurtre en forêt de Saint-Germain ferait-il l’ouverture des journaux télévisés au détriment du serment du Jeu de Paume ? » Kahn exagère à peine. On l’a vu avec la tuerie de Chevaline, balayant les massacres en Syrie. Sans même parler du poids de la météo, pour peu qu’il tombe trois flocons en hiver. Comme si tout se valait, si bien que « rien ne compte plus pour rien », l’indifférenciation « contribuant à l’indifférence ». Non que trop d’info tue l’info. En réalité, « on nous en propose assez peu », tandis que s’agitent depuis trente ans « les mêmes historiens de référence, philosophes de référence, experts de référence. Une telle congélation ne démontre-t-elle pas à quel point le système est lui-même devenu congélateur ? ». Voilà qui n’est pas nouveau. Jean-François Kahn a 75 ans : il n’en découvre pas moins la Lune et enfonce des portes ouvertes depuis longtemps.

JFK poursuit sa découverte d’une information appauvrie en revenant sur le référendum sur le traité constitutionnel européen (2005), pour lequel 90 % des médias étaient favorables au « oui ». Un divorce inouï avec l’opinion. Sans que jamais les médias ne se remettent en question. Si lui aussi, alors, s’est prononcé en faveur du « oui », il a admis s’être trompé. Dans ce tableau noir, auquel il reconnaît avoir participé, Kahn vise ainsi les médias traditionnels. Mais débarquant avec les carabiniers. Que n’est-il allé voir ailleurs ? Plus tôt ? Du côté des nouveaux médias portés par Internet, de Mediapart à Rue 89 en passant par Arrêt sur images ou des sites comme le Gorafi. Du côté encore du magazine Causette, des revues comme XXI ou de journaux satiriques tels le Ravi ou Zélium. Il y trouverait une effervescence, des bouillonnements internes, la densité, la profondeur et la curiosité qu’il réclame ou, comme l’on dit, « une presse pas pareille », qui, précisément, rétablit « l’honneur médiatique ». Car on ne trouve du pluralisme que là où l’on veut bien aller le chercher.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes