« Ce n’est que de la télé ! »

Du « Tube » sur Canal + à « La Semaine des médias » sur i-Télé… Quand l’écran regarde l’écran comme les vaches regardent passer les trains.

Jean-Claude Renard  • 3 avril 2014 abonné·es

Passons sur la quotidienne de Cyril Hanouna, « Touche pas à mon poste », sur D8, stupéfiante de crasse bêtise, animée par le goût de la blague potache et de la vanne lourde sur tout ce qui s’articule autour du petit écran, avec pour slogan : « La télé, ce n’est que de la télé ! » Passons encore sur « Médias, le magazine », sur France 5, qui se gargarise des programmes de son groupe, France Télévisions (c’est de bonne guerre, mais les ficelles sont grossièrement tirées), s’amuse à tacler les petits camarades de la concurrence, devise sur un « coup de com’ », des sujets dans l’air du temps (récemment, la solidarité à la télé). Elles ne sont pas nombreuses mais occupent tout de même quelques cases du petit écran, ces émissions qui traitent des médias.

Sur Canal +, chaque samedi, l’émission « le Tube », présentée par Daphné Bürki, observe la vie de la petite lucarne via ses stars, sans s’interroger sur le sens. La chute d’audience du journal de David Pujadas, sur France 2, les difficultés de l’access prime time sur la même chaîne, les recettes du succès de « Money Drop », sur TF1. Des « scoops médias » qui n’en sont pas (parce que déjà dits sur tous les sites d’infos médias), les bébés stars sur Youtube, une plate interview de Christopher Baldelli, PDG de RTL, quand celui-ci débauche Laurent Ruquier d’Europe 1 pour remplacer Philippe Bouvard aux « Grosses Têtes » (« Médias, le magazine » a eu la même idée, le même week-end), des portraits, enfin, où l’invité « jure de dire toute la vérité, rien que la vérité », mais où les questions n’engagent aucun risque, toutes calées dans la camaraderie (en l’occurrence, celui de Laurence Ferrari, ex-TF1, aujourd’hui sur D8 et i-Télé, groupe Canal, le 22 mars dernier, est un modèle du genre, entre empathie et platitude). C’est rythmé à la manière des enquêtes et des reportages de M6, avec ce fameux ton pompeux faussement pédagogique. Sur i-Télé, le dimanche, place à « La Semaine des médias », présenté par Matthias Gurtler. Bis repetita ou presque. Pour ce qui demeure encore une présentation des programmes. Daphné Bürki a son « Je dis toute la vérité », Gurtler a son « J’aime/j’aime pas ». Et d’inviter toute l’équipe de « Touche pas à mon poste » (on reste ainsi dans le même groupe puisque D8 est propriété de Canal) pour lui faire évidemment la part belle, de mener un entretien avec Camille Cottin, dernière égérie du « Grand Journal » dans le rôle de « la conasse », un autre avec Michael Goldman sur le financement participatif, ou un autre encore avec Mélissa Theuriau, maintenant productrice, au moment de la diffusion sur M6 de son (excellent) documentaire sur les mères en prison, l’Absente, réalisé par Hélène Lam Trong. Pour le coup, c’était l’occasion d’évoquer le formatage du docu à la télé, dont se plaignent les réalisateurs, de rappeler les conditions de tournage difficiles en prison, la masse de contraintes et d’obstacles, de parler des horaires de diffusion toujours très tardifs (le film de Mélissa Theuriau était programmé à 23 h, suivi d’un débat après minuit). Occasion manquée. Matthias Gurtler ouvrant même son magazine en s’adressant à l’ex-journaliste par une question essentielle : « Aimez-vous qu’on fasse sans cesse référence à votre physique ? » Theuriau retrouve l’écran avec un sujet grave, mais on en reste à son physique.

Il fut un temps, l’émission de télé qui regarde la télé s’accompagnait d’un réel souci de décryptage. De la même manière que, sur les limites de l’humour, on en revient toujours à Pierre Desproges, on en reste encore à « Arrêt sur images » (supprimé de l’écran en 2007 avant de renaître sur Internet). Aujourd’hui, l’émission de télé qui regarde la télé se limite au rôle de la vache regardant passer les trains. Ni coup d’œil averti, voire acéré, ni vigilance, mais, au mieux, de la moquerie sur la concurrence. Ça tourne en rond. On enquille les sujets comme un maître d’hôtel sert les plats. Tout se passe comme si voir les choses derrière les choses, comme si l’analyse critique et le décryptage avaient laissé place à la présentation simple (et simpliste) d’une grille de programmes. Frustrante présentation.

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