Des députés sous pression
Pour faire adopter le programme de stabilité transmis à la Commission européenne, Manuel Valls et le PS ont dû menacer les députés frondeurs, avant de concéder quelques « gestes ».
dans l’hebdo N° 1301 Acheter ce numéro
Ce ne devait être qu’un vote sans enjeux ni conséquences puisque « consultatif ». Mais l’obstination de Manuel Valls à imposer « son » plan d’économies budgétaires et les menaces adressées aux députés tentés de ne pas le voter ont donné au vote sur le programme de stabilité, organisé mardi à l’Assemblée nationale (mais pas au Sénat), une importance politique qui révèle au grand jour une fracture durable au sein du PS.
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Après le Waterloo de leur parti aux municipales, 80 députés avaient réclamé dans un courrier adressé au nouveau Premier ministre que celui-ci s’engage sur un « contrat de majorité », avant de lui accorder la confiance. Sans aller jusqu’à demander un changement de cap, ils remettaient en cause la politique menée par l’exécutif et demandaient surtout que le Parlement ne soit plus réduit à un rôle de godillot. D’où leur surprise et leur colère quand, une semaine plus tard, ils découvrent à la télé, en pleine réunion de groupes, le même Manuel Valls, flanqué de quatre ministres potiches, détaillant les mesures concrètes retenues par le gouvernement pour mettre en œuvre le pacte de responsabilité et de solidarité promis par François Hollande en janvier. Faute d’avoir obtenu un dialogue en amont, onze députés, affirmant s’exprimer au nom des « 80 », rendent public le lendemain, 17 avril, un nouveau courrier au Premier ministre dans lequel ils jugent son plan d’économies de 50 milliards « dangereux économiquement ». « Au-delà de 35 milliards, nous croyons que reculs sociaux et mise à mal des services publics seront inéluctables », avertissent les frondeurs. Lesquels détaillent à grands traits un plan alternatif qui ne gèle pas les prestations sociales, ramène de 11 à 5 milliards l’effort des collectivités locales, porte de 5 à 10 milliards les mesures en faveur du pouvoir d’achat, concentre les aides aux entreprises sur l’industrie et diminue de 10 milliards le montant des baisses de cotisations patronales.
Les signataires de ce courrier débordent largement les rangs de ce que l’on appelle « la gauche du PS ». Si les députés Pouria Amirshahi et Fanélie Carrey-Conte (voir portrait ci-contre) sont membres du courant de Benoît Hamon, Un monde d’avance, les neuf autres sont connus pour leur proximité avec Martine Aubry (Christian Paul, Jean-Marc Germain et Laurence Dumont), comme animateur du groupe de la Gauche populaire (Laurent Baumel), ou en qualité de simple député de base (Pierre-Alain Muet est en outre vice-président de la commission des Finances). Et tous soutenaient la motion majoritaire présentée par la direction du PS, avec l’appui de l’Élysée et de Matignon, au congrès de Toulouse. Pourtant, à aucun moment avant le vote de mardi, ils n’ont été reçus à Matignon pour défendre leurs contre-propositions. En guise de réponse, le gouvernement a accepté de discuter de quelques « gestes » cosmétiques avec des députés choisis, notamment Valérie Rabault, nouvelle rapportrice du budget, Karine Berger et Bruno Le Roux, président du groupe des députés socialistes. Lequel s’est chargé de multiplier les mises en garde contre « les tentatives d’échappées individuelles ». « Le vote de mardi est un vote de responsabilité, a-t-il ainsi déclaré sur RTL le 24 avril, l’absence de responsabilité entraîne bien entendu des conséquences. » Une menace à peine voilée qui a surtout durci les positions. Le lendemain, Jean-Marc Germain, Laurence Dumont et Christian Paul confirmaient, dans une tribune publiée par Libération, que « pour la première fois depuis juin 2012, [ils n’apporteraient] pas [leur] suffrage au gouvernement issu de la majorité à laquelle » ils appartiennent. Parallèlement, des militants socialistes lançaient sur Internet une pétition de soutien aux députés frondeurs qui, sans publicité médiatique, a recueilli en quatre jours plus de 3 300 signatures de militants et d’élus.
Cette extension du débat au Parti socialiste doit aussi à l’initiative de Jean-Christophe Cambadélis, convoquant un bureau national extraordinaire pour arrêter de manière « solennelle » la position du PS sur le programme de stabilité. Si l’objectif de cette réunion, qui s’est tenue lundi soir, était de faire pression sur les députés, elle a mis en lumière l’absence d’unanimité à la tête du PS. La résolution de soutien présentée a recueilli 31 voix « pour », 15 « contre » et une abstention (sur 68 membres). Mardi matin, Solferino semblait se résoudre à ce qu’au moins les onze députés qui s’étaient abstenus lors du vote de confiance, le 4 avril, fassent à nouveau défection. Mais, jusqu’au bout, le gouvernement et la direction du PS ont tenté d’empêcher qu’ils ne soient rejoints par d’autres. Devant les députés PS, Manuel Valls a ainsi de nouveau dramatisé l’enjeu, affirmant qu’il s’agissait d’un véritable vote de confiance qui conditionnera la légitimité du gouvernement. « Si, à chaque vote, des élus socialistes votent contre, avertissait encore Jean-Christophe Cambadélis dans un entretien au Monde paru à la mi-journée, on n’est plus dans une défiance plus ou moins organisée, mais dans une sécession. » Le constat n’est pas faux.
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