La fin du monde, c’est demain !

Un rapport annonce la chute de notre civilisation. Le catastrophisme peut-il changer les comportements ?

Ingrid Merckx  et  Clémence Duneau  • 10 avril 2014 abonné·es

La Nasa annonce la fin de notre monde. C’est ce qu’a relayé une partie de la presse française, mi-mars, reprenant un article paru sur le site Internet du Guardian. Le quotidien britannique analysait une étude menée par l’Institut national de synthèse socio-environnementale (Sesync) aux États-Unis. Une équipe pluridisciplinaire, menée par le mathématicien Safa Motesharrei, a tenté de modéliser des facteurs de déclin des civilisations à l’aide d’un nouvel outil analytique baptisé Handy (pour Human and Nature Dynamical). Étudiant la raréfaction des ressources, la surpopulation et la stratification des sociétés divisées entre riches et pauvres en regard de l’effondrement de civilisations précédentes (les Romains, les Mayas…), elle en conclut que notre civilisation pourrait disparaître dans les quinze ans.

La Nasa catastrophiste ? Le feu a pris rapidement. En fait, cette étude du Sesync n’aurait été qu’en partie financée par la Nasa grâce à son centre de recherche, le Goddard Space Flight Center. De quoi faire tomber les fantasmes sur des cosmonautes décroissants et une soudaine prise de parole écologique des scientifiques parmi les plus réputés de la planète… Ce qui est resté, en revanche, c’est une reprise des débats sur la fin de « notre civilisation », sous l’angle de l’épuisement des ressources, et sur le rapprochement entre écologie et catastrophisme. Mais de quelle fin s’agit-il ? Et ce genre de rapport peut-il avoir un impact ? « Les annonces de catastrophes sont récurrentes, commente la philosophe Catherine Larrère, présidente de la Fondation pour l’écologie politique et coauteure de L’écologie est politique (éd. Les petits matins). Mais l’étude du Sesync semble modéliser des causes anciennes. Il est question de l’épuisement des ressources et de surpopulation depuis le rapport Meadows, qui, pour la première fois en 1972, attirait l’attention sur les limites de la croissance. Depuis, avec le travail du Giec notamment, la situation s’est aggravée et nous sommes passés à un nouveau degré d’identification des problèmes. Il est surtout question maintenant du dérèglement des cycles naturels. » Le rapport Meadows déclarait en effet, à l’époque : « Nous pouvons démontrer que la croissance exponentielle de la population et du capital ne fait qu’accroître le fossé qui sépare les riches et les pauvres à l’échelle mondiale… En dépit de découvertes spectaculaires récentes, il n’y a qu’un nombre restreint de nouveaux gisements minéraux potentiellement exploitables  […]. Décider de ne rien faire, c’est donc décider d’accroître le risque d’effondrement. »

Pour le député européen Yves Cochet, le rapport du Sesync va dans le même sens que toute une série d’études qui alertent depuis quarante ans sur les conséquences du réchauffement climatique. En croisant différents critères – climat, population, eau, énergie… – et en utilisant des « mots forts sans avoir peur de choquer les politiques », il pourrait marquer des esprits qui restent très globalement « englués dans le déni ». Pourquoi cet aveuglement ? « Toutes les sociétés se préoccupent de leur fin. Mais cela permet-il de s’interroger sur les causes, sur ce qui est en train de se passer ? », interroge Catherine Larrère. Le catastrophisme peut-il prévenir la fin ? « Nous avons raté la possibilité de limiter les émissions de gaz à effet de serre, on ne pourra pas empêcher le réchauffement. Il est déjà trop tard, tranche la philosophe. Nos sociétés vont devoir s’adapter. Comment vivre dans ce monde que nous avons transformé ? C’est cette question qu’il faut se poser. » « Le vocabulaire se durcit depuis quarante ans, observe Yves Cochet. Le rapport cofinancé par la Nasa évoque un “impending collapse” – “effondrement imminent”. L’effondrement de notre mode de vie industriel va survenir avant 2020. La priorité numéro 1, c’est d’inventer un autre système, en commençant par baisser l’empreinte écologique des riches. » Les rapports tels que celui-ci peuvent-ils réellement engendrer un changement de comportement ? Le député européen défend, à l’instar du polytechnicien Jean-Pierre Dupuy, un « catastrophisme éclairé »  : « Pendant trente ans, j’ai porté une sorte de réformisme graduel. Cela ne mène à rien. Nous avons déjà subi une série de catastrophes et de dérèglements climatiques, y compris en France. Malgré cela, le débat d’experts qui s’est tenu pendant six mois en 2013 pour préparer la toute prochaine loi de transition énergétique aboutit à cette conclusion : il faut diviser par deux la consommation d’énergie tout en multipliant par deux le PIB. C’est un découplage qui ne s’est jamais vu dans aucune économie. C’est absurde. »

L’écologie est-elle nécessairement catastrophiste ? Pour Catherine Larrère, « il est illusoire de penser que quand on sait on agit. On cherche toutes les bonnes raisons pour ne pas agir. Nous ne sommes pas prêts, par exemple, à percevoir le genre de danger qu’évoque le Giec ou le rapport du Sesync. En outre, il y a un décalage entre la prise de conscience individuelle et la prise de conscience collective. » Comparés à l’enjeu planétaire, les petits gestes individuels paraissent dérisoires. « On a du mal à se sentir véritablement responsable, ajoute-t-elle. Qu’on prenne sa voiture ou pas ne changera pas le niveau général de pollution. » Elle croit en un niveau d’intervention « intermédiaire », via des collectifs qui se battent ou imaginent d’autres façons de vivre. Selon Yves Cochet, il faut commencer par « décoloniser les imaginaires, quasiment tous imprégnés du dogme de la croissance. Les élites ne comprennent rien. Y compris quand elles sont très à gauche. Le problème n’est pas tant le capitalisme que le productivisme. » « Sur le thème de l’écologie, la gauche n’est pas mieux que la droite, reprend Catherine Larrère. La loi de transition énergétique n’est toujours pas sortie des tiroirs. Ségolène Royal a annoncé qu’elle renonçait à l’écotaxe… et qu’elle reste favorable à la croissance ! » Selon la philosophe, le degré de conscientisation écologiste se serait quand même amélioré depuis vingt ans. Pas pour Yves Cochet. Lui estime que celui-ci se portait mieux dans les années 1970. « Les individus renvoient sur les États, qui renvoient sur l’Union », glisse Catherine Larrère. « Théoriquement, l’Europe devrait permettre un meilleur niveau d’intervention, admet le député européen. Elle a même eu un président décroissant : Sicco Mansholt, en 1972-1973. Mais avec José Manuel Barroso, et bientôt Jean-Claude Junker, elle régresse. » Et la fin se rapproche. « Mais la fin prend du temps, observe Catherine Larrère. Un certain nombre de choses sont déjà terminées. Comme la croissance à deux chiffres dans les pays développés. Le problème reste la prise de conscience. » Les rapports n’y suffiront pas. Combien faudra-t-il de catastrophes ?

Idées
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