L’aéroport en fin de course ?

Alors que la Commission européenne menace l’État français d’une procédure pour manquements environnementaux, le projet, contesté en justice, voit ses soutiens politiques s’affaiblir.

Patrick Piro  • 24 avril 2014 abonné·es

C’est la bonne surprise du printemps pour les écologistes : Bruxelles a mis en demeure la France, vendredi dernier, sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes [^2], pour « absence de certaines évaluations environnementales ». Car ses « effets notables probables » n’ont pas été évalués, alors qu’ont été publiés, en décembre, des arrêtés donnant le feu vert aux travaux au regard des lois sur l’eau et la protection des espèces. La France a deux mois pour apporter des réponses satisfaisantes, faute de quoi la Commission européenne pourrait engager une procédure d’infraction. « Il est d’ores et déjà peu probable qu’elle en ait la capacité », commente un communiqué de personnalités [^3] d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), estimant que « l’Europe sonne glas de l’aéroport ». Selon un élu européen, Bruxelles, qui interroge pour la première fois la crédibilité du dossier, a attendu le départ de Matignon de Jean-Marc Ayrault pour agir. Un soutien de poids aux opposants du projet, fragilisé comme jamais, tant sur le front environnemental, judiciaire que politique.

Les 2 000 hectares du site sont une importante zone humide, et sa destruction oblige à des compensations. La méthode du concessionnaire du projet Aéroport du Grand Ouest (AGO), Vinci, n’a pas été jugée satisfaisante par le comité scientifique chargé d’en juger. « Sur ses douze recommandations, aucune n’a été prise en considération jusque-là », constate Raphaël Romi, juriste et élu EELV à Clisson. Par ailleurs, près de deux cents naturalistes ont établi un état des lieux écologique du site qui a ridiculisé celui réalisé par le cabinet Biotope pour AGO. Les militants ont inventorié plus de 600 espèces animales, « dont de nombreuses rares », quand Biotope n’en a compté que 71. Mi-avril, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) rejetait à l’unanimité la dérogation demandée par la préfecture pour passer outre à la présence du campagnol amphibie. Oubliée par Biotope, l’espèce, « quasi menacée » en France, serait localement détruite. Consultatif, l’avis du CNPN pourrait être ignoré par la préfecture. De quoi alimenter la bataille judiciaire, où les opposants ont aussi gagné du terrain. Après la grande manifestation des « anti », le 22 février à Nantes, Jean-Marc Ayrault, encore Premier ministre et principal soutien du projet, avait promis que les travaux ne débuteraient qu’après l’extinction de tous les recours, dont ceux déposés en février contre les arrêtés de décembre. L’engagement ne valait jusqu’alors que pour les contestations d’expropriation. Il a même été couché noir sur blanc, et imposé par le national au PS local pour obtenir le ralliement d’EELV, lequel a permis aux socialistes de sauver les mairies de Nantes, de Rennes et de Bourguenais.

Cette dernière commune accueille l’aéroport Nantes-Atlantique, et la maire a même dû s’engager à réaliser une étude indépendante sur son optimisation. Une alternative à la construction de Notre-Dame-des-Landes, que réclament de longue date les opposants, convaincus que des aménagements suffiraient à couvrir les besoins régionaux. Ayrault a récusé le terme de « moratoire » dans l’accord. « Cependant, on parle de “gel”, formule équivalente, commente Jean-Philippe Magnen, vice-président EELV du conseil régional des Pays-de-la-Loire. Il ne devrait donc rien se passer sur le terrain d’ici à 2017. » Raphaël Romi a fait le calcul : échanges entre les parties, appel probable si les opposants sont déboutés, puis Conseil d’État, « et, à supposer qu’il n’y ait pas de nouvelles procédures, cela nous mène au second semestre 2016 ». Soit moins d’un an avant la présidentielle : quel candidat prendra alors le risque d’agiter le dossier ? Entre-temps auront lieu les élections régionales et départementales. En Pays-de-la-Loire, région menacée par la droite, le PS devra plus que jamais ménager ses alliances. « J’entends déjà : “Vous ne pouvez pas nous faire ça” dans les couloirs », raconte Jean-Philippe Magnen. Le poulain de Jacques Auxiette (il ne se représente pas) pourrait être son premier vice-président, Christophe Clergeau, « en apparence moins virulent partisan de l’aéroport » .

Au niveau politique national, les opposants captent aussi de nouveaux signaux laissant croire l’abandon en bonne voie. « Même Ayrault se faisait moins insistant à la fin de son mandat », explique Emmanuelle Cosse. La secrétaire nationale d’EELV a également échangé avec Ségolène Royal. La ministre de l’Écologie, qui a déclaré son opposition à l’aéroport dès 2011, s’est montrée ouverte à l’étude d’alternatives, bien qu’elle dise « attendre la fin des recours ». Position avalisée par le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, « qui semblait même déjà prêt à aller plus loin lors de la négociation précédant notre sortie du gouvernement », rappelle le député François de Rugy, qui y participait. L’apaisement qui prépare l’abandon ? « Ils semblent chercher la meilleure porte de sortie, pressent Jean-Philippe Magnen, confiant. Mais nous restons vigilants. Ce dossier est tellement irrationnel qu’on redoute de le voir rebondir à tout moment. »

[^2]: Annoncé par Presse Océan le 17 avril 2014.

[^3]: Yannick Jadot, Sandrine Bélier, Jean-Philippe Magnen, Nicole Kiil-Nielsen, Julien Durand et Pascale Chiron.

Écologie
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