Le printemps grenoblois
Singularité, la capitale alpine n’a pas choisi la droite mais la liste verte-rouge-citoyenne menée par l’écologiste Éric Piolle pour donner leur congé aux socialistes.
dans l’hebdo N° 1297 Acheter ce numéro
Un verre de vin à la main, face à l’écran de télévision, Éric Piolle reste interdit devant les chiffres que France 3 vient d’afficher. Il est 21 h, en ce dimanche de 2e tour, et la tête de liste écologiste de « Grenoble, une ville pour tous » (EELV-Parti de gauche-mouvements citoyens) peine à réaliser l’ampleur de l’événement : avec 40 % des voix, l’écart creusé au premier tour avec le socialiste Jérôme Safar a triplé [^2]. Avec 27,4 %, la liste de ce dernier a stagné. La droite aussi (24 %), et le Front national a reculé (8,5 % contre 12,5 % le 23 mars). « Attention, ce ne sont encore que des estimations », avertit une voix dans la salle. Et puis l’on se rend vite à l’évidence : 13 points d’avance, c’est un gouffre. Dans l’appartement du centre-ville qui sert d’ultime QG à son équipe rapprochée, Éric Piolle essuie une larme et tombe dans les bras de ses collaborateurs, de sa femme, de son beau-père. « C’est énorme ! », commente un proche. À quelques centaines de mètres, la foule massée sur l’esplanade du Musée de Grenoble explose de joie. Deux heures avant le résultat, l’équipe a renoncé à tenir la soirée électorale dans les 50 m2 du local de campagne. « Nous avons renversé un ordre préétabli qui nous promettait un maire choisi d’avance !, lance Éric Piolle sur l’estrade. Désormais, on parlera moins de notre ville comme de celle “du discours de Grenoble” de Sarkozy, mais comme de la pionnière qui a mis fin à un modèle traditionnel d’alternance politique. La France nous regarde, nous avons l’immense responsabilité d’être la première grande ville à inventer la transition sociale et écologique ! »
Enseignement majeur : le vote sanction contre la politique gouvernementale n’a nullement joué en faveur du candidat de droite – certes affaibli par la présence contestée d’Alain Carignon sur sa liste. Mais il n’attire même pas sur son nom l’intégralité des voix du candidat MoDem, qui ne pouvait pas se maintenir. L’effet « rejet » n’explique donc pas tout. La crédibilité des vainqueurs du jour a fait le reste. « Les habitants ont compris que nous portions un nouvel espoir, et que l’alternative aux socialistes, ce n’est pas forcément la droite ou l’extrême droite », estime Élisa Martin (Parti de gauche), numéro deux de la liste. Éric Piolle, à qui ses adversaires reprochaient son « inexpérience », a eu beau jeu de leur renvoyer la balle, rappelant qu’il avait géré, dans sa vie professionnelle, des budgets plus importants que ceux de la ville de Grenoble. Par ailleurs, si la moitié de ses colistiers ne sont pas encartés dans un parti politique, ce n’est pas une émergence spontanée. « Ce ne sont pas les partis politiques qui structurent la vie grenobloise », affirme Pierre Kermen, qui a mené la liste écologiste en 2001. L’engagement de citoyens en politique est une pratique locale qui s’est perpétuée depuis les Groupes d’action municipale (GAM) d’Hubert Dubedout dans les années 1960. L’Association démocratie, écologie, solidarité (Ades), qui laboure le terrain politique au plus près des habitants depuis près de trente ans, en est un exemple. Partie prenante de la liste du nouvel élu, elle a déjà envoyé plusieurs conseillers à la municipalité. Et si Éric Piolle inaugure son premier mandat, près d’une quinzaine de ses 41 colistiers élus (sur un total de 59 postes à pourvoir) ont déjà l’expérience d’un exécutif municipal.
[^2]: Voir Politis n° 1296 (27 mars).
[^3]: Voir « Amers, les socialistes grenoblois accusent » sur www.politis.fr