Le sexe de la Chine

Dans Une Chinoise ordinaire, Stéphane Fière dresse le portrait d’un pays déboussolé.

Anaïs Heluin  • 10 avril 2014 abonné·es

Ai Guo, Pékinoise de 28 ans, est « infirmière en soins palliatifs ». Enfin, c’est ainsi qu’elle se présente souvent pour faire bonne impression, ou juste ironiser un peu. La vérité est moins reluisante. Mais, narcissique comme elle est, elle ne résiste pas à l’envie de tout déballer lorsqu’un éditeur lui demande de raconter son quotidien dans les moindres détails. Et tant pis si elle ne sait pas aligner deux phrases : on lui envoie un nègre chargé de recueillir ses paroles et d’en faire un livre. Une Chinoise ordinaire, de Stéphane Fière, est le flux verbal dont la jeune femme accable cet interlocuteur muet.

Dans un style vif comme la femme pressée qu’est Ai Guo, le récit à la première personne révèle un quotidien que l’on a bien du mal à qualifier d’ « ordinaire ». Car, plutôt qu’infirmière, la narratrice est une prostituée spécialisée dans «   les vieux vieux vieux, d’au moins cinquante ans et jusqu’à soixante-cinq, voire plus, beaucoup plus ». Riches expatriés, ces « clients » lui permettent de mener une vie de luxe. Et de renier ses origines de pauvre Shanghaïenne. Mais les souvenirs finissent par remonter. La langue truculente, l’irrévérence qu’affiche Ai Guo envers la Chine entière se fissurent. Disparaissent aussi ses comiques énumérations de marques de téléphones, d’ordinateurs ou de vêtements qui interrompaient régulièrement l’exposé baroque de ses frasques. Dans sa course folle à la richesse et à la modernité, Ai Guo – autrement dit, la Chine – n’avait pas tout à fait oublié qu’on pouvait vivre d’amour et d’eau fraîche.

Littérature
Temps de lecture : 1 minute