Mensonge 2 : Une garantie de paix entre les peuples
L’idée que l’Union européenne nous éviterait de nouvelles guerres est l’une des grandes mystifications fondatrices.
dans l’hebdo N° 1300 Acheter ce numéro
C’est peut-être à la fois le plus beau et le pire des mensonges qui nous ont été servis sur l’Europe : la paix. La paix, pour un continent ravagé par deux guerres en trois décennies, c’était une belle promesse. On peut même plaider la bonne foi de ceux qui l’ont relayée, au moins dans les premières années. L’idée que l’Europe apporterait et assurerait paix et félicité à ses peuples possède même son image symbole qui résume tout. C’est la fameuse photo de François Mitterrand et d’Helmut Kohl se tenant la main, le 22 septembre 1984, devant l’ossuaire de Douaumont, lors d’un hommage aux morts de la Première Guerre mondiale. Pour un homme comme Mitterrand, né en 1916, et une partie de sa génération, l’Europe, c’est la réconciliation franco-allemande, et réciproquement. La paix est l’une des idées fortes ayant présidé à l’accélération de la construction européenne. Il fallait éviter le revanchisme qui avait été à l’origine des guerres de 1914 et de 1939. Pour cela, il fallait que le « couple franco-allemand » soit le moteur du processus. Hélas, cette obsession générationnelle, qui se parait de belles vertus culturelles, a servi à masquer une réalité autrement plus forte : le caractère économique, financier et bientôt monétariste de la construction européenne. Et là, il n’était plus du tout question de paix. On peut même dire qu’entre l’Allemagne et la France, mais aussi entre l’Allemagne et les pays du Sud européen, c’est la guerre économique à tout-va. Si bien que la « belle idée » a couvert deux gros mensonges. Le premier a consisté à dire que, sans l’Europe, il y aurait eu, ou il aurait pu y avoir, une nouvelle guerre pour l’Alsace et la Lorraine. Or, l’Europe n’a évidemment rien évité, car la menace était devenue inexistante dans un monde qui s’était profondément transformé et dans lequel les enjeux avaient changé de nature. Le deuxième, c’est que les guerres qui menacent l’Europe occidentale sont aujourd’hui principalement économiques et sociales. Elles résultent de la concurrence entre les États et des conflits sociaux qui, au sein de chaque État, risquent à tout moment de s’embraser. Or, en ce domaine, l’Europe exacerbe au contraire les antagonismes. Si bien que l’image jaunie de la poignée de mains entre Kohl et Mitterrand est devenue, avec le temps, et quelles que fussent à l’époque la beauté et la sincérité du geste, une hypocrisie qui masque une compétition sans merci entre les deux pays, et qui tourne nettement à l’avantage de l’Allemagne.
C’est en partie cette compétition qui conduit le gouvernement français à imposer une politique d’austérité aux catégories les plus défavorisées de notre société. Mais cette paix en trompe-l’œil peut aussi conduire à une guerre qui n’est pas seulement économique et sociale. Le rôle joué par l’Allemagne dans l’éclatement de la Yougoslavie l’a montré tragiquement. L’avidité à profiter d’un pré carré au sein même de l’Europe avait, on s’en souvient, conduit le chancelier Kohl à encourager la proclamation d’indépendance de la Croatie dans les pires conditions, tandis que la France de François Mitterrand s’obstinait à défendre l’indéfendable régime de Slobodan Milosevic en Serbie. Le discours « Union européenne, facteur de paix » ne devrait donc plus abuser personne. S’il pouvait encore se comprendre en 1984 de la part de dirigeants qui avaient connu la guerre, il est devenu très manipulateur aujourd’hui. Cela n’a pas empêché le comité Nobel de décerner en 2012 le prix Nobel de la paix à l’Union européenne, récompensée « pour avoir fait avancer la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ». Et, comble de la tartufferie, le comité norvégien dit avoir voulu honorer « le rôle stabilisateur joué par l’UE, qui a su transformer la plus grande partie du continent européen, marqué par la guerre, en un continent de paix ». Il n’est pas sûr que les Grecs apprécient le « rôle stabilisateur » de l’Union.