Remaniement : un « attelage baroque » à Bercy
Michel Sapin et Arnaud Montebourg ont inauguré ce lundi, avec un vrai-faux «déplacement commun» à Berlin, leur étonnante cohabitation. Qui sera scrutée de près.
En « déplacement commun » à Berlin ce lundi , Michel Sapin et Arnaud Montebourg n’ont toutefois « pas voyagé ensemble, ne se sont pas croisés et n’ont eu aucun interlocuteur allemand en commun » , rapporte le correspondant du Monde . L’image est frappante. Elle est celle d’une drôle de cohabitation, instaurée par le remaniement ministériel du 2 avril. Elle met aux prises à Bercy, M. Montebourg, désormais titulaire du ministère de l’Économie, du Numérique, du Redressement productif, et M. Sapin, de retour au ministère des Finances, après l’avoir déjà occupé de 1992 à 1993 dans le gouvernement Bérégovoy. Les prises de position du chantre du « Made in France », qui fut hostile en 2005 au Traité constitutionnel européen, sur l’Allemagne ou l’euro fort ne vont guère dans le sens de son collègue. Michel Sapin avait critiqué en 2013 les propos de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, appelant à une confrontation avec l’Allemagne, pour réorienter les politiques européennes.
Toutefois, dès sa nomination à Bercy, Michel Sapin a surtout eu le souci de minimiser ses divergences avec son nouveau collègue. Il « met du punch dans la vie politique et la vie économique » , affirme-t-il. Au cours de la passation de pouvoir avec Pierre Moscovici jeudi, il a assuré aux journalistes présents qu’ils auront « le sentiment de la cohérence, de la cohésion ». « Nous partagerons toutes les décisions et parlerons d’une seule voix » , a-t-il promis. Même son de cloche chez Arnaud Montebourg qui, au 20h de France 2, parlant d’un « tandem de choc » , a eu cette image : « Deux jambes pour faire avancer le même corps. »
Michel Sapin a les clés
Les rôles des duettistes de la forteresse sont, pour l’heure, assez nettement définis ; Arnaud Montebourg se chargera de « l’économie réelle, concrète, de la vie des gens » . Il devra jouer sur le « patriotisme économique » –en mode héritier de Colbert-, afin de rassurer les électeurs de gauche, boudant les urnes au moment des élections municipales. Il sera appuyé pour cela par des anciens dirigeants d’entreprises partisans d’un « Etat Stratège » comme Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain) et Jean-François Dehecq (Sanofi). Preuve de relations améliorées avec les grands patrons, après un début calamiteux, comme l’atteste son numéro de matamore sur le cas d’Arcelor-Mittal à Florange, qui a été un échec patent.
Du côté de Michel Sapin, européen affiché et partisan du Mécanisme européen de stabilité, il s’agira de rassurer les partenaires européens, puisqu’il aura la charge de représenter la France pour les réunions du Conseil ECOFIN, sur le respect de la politique d’austérité, dans l’objectif de réduction des déficits publics, contrairement à ses propos tenus en mai 2012 à nos confrères d’Alternatives Economiques, où il parla de coordination budgétaire adaptée à chaque pays (éviter une seule politique budgétaire pour tous) tout en servant l’intérêt général européen et d’une politique de croissance de la zone euro, avec le besoin d’une « politique générale d’investissements publics » , ceci ayant fait long feu. Le 2 avril sur France Inter, Michel Sapin a confirmé que le « chemin » , c’est la réduction des déficits mais que « c’est le rythme lui-même qui sera discuté dans un intérêt commun » . Ce à quoi Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, a aussitôt rétorqué qu’il est important « que [la France] respecte les règles pré convenues, ou alors la confiance est affaiblie » .
Cette association de personnalités diamétralement opposées ne sera toutefois efficace que si la Commission européenne assouplit ses conditions envers la France sur le rythme de réduction des déficits publics – ce qui semble impensable après la réponse de Mario Draghi.
Pour Dominique Plihon, professeur d’économie à Paris XIII Nord, « Sapin va dominer » dans un esprit de collusion avec Arnaud Montebourg car la priorité est donnée à l’approche budgétaire : « Tout ce qui est gras, on coupe. » L’économiste Christophe Ramaux (Paris I Panthéon-Sorbonne), considère cet « attelage baroque » inscrit dans la continuité d’une politique d’austérité néo-libérale, mais Bruxelles pourrait « lâcher du lest » en accordant un nouveau délai. Selon lui, cette inflexion de la politique économique confirme un « enlisement sans fin dans la crise » , parce que les politiques d’austérité ne marchent pas. Michaël Assous, maître de conférences à Paris I, estime que ces politiques conduisent à « une réduction de la croissance et par conséquent une augmentation de la dette » .
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