Rwanda: « La France est le bouc émissaire parfait »
À la veille des commémorations du génocide rwandais, Paul Kagamé s’en est pris vivement à la France. L’analyse de Rony Brauman.
dans l’hebdo N° 1298 Acheter ce numéro
Essayiste, ancien président de Médecins sans frontières, Rony Brauman revient ici sur les déclarations du Président rwandais Paul Kagamé (photo), qui, dans l’hebdomadaire Jeune Afrique , a accusé la France d’avoir joué un rôle « dans la préparation politique du génocide » et d’y avoir même participé.
Comment interpréter les déclarations de Paul Kagamé ?
Rony Brauman > Kagamé reprend une accusation qu’il avait portée par le passé sur la responsabilité de la France dans le génocide de 1994 et sur laquelle il était revenu, convenant qu’il n’y avait pas lieu d’écraser la France de sa culpabilité. Cette position est à comprendre dans le cadre des difficultés qu’il connaît actuellement avec ses principaux alliés, notamment les États-Unis. Ces derniers ont en effet vivement critiqué les exactions commises en particulier au Congo. Ces accusations portant moins d’ailleurs sur les violations des droits de l’homme et la réalité de la dictature que sur le pillage et la déstabilisation au Congo voisin.
Il me semble que s’en prendre à la France aujourd’hui, c’est trouver une sorte de bouc émissaire parfait. Un pays qui n’est pas trop puissant et dont les capacités de rétorsion ne sont pas trop fortes mais qui a tout de même une certaine importance sur la scène internationale.
Revient ainsi le débat sur la complicité de la France. Que faut-il entendre par ce mot ?
La notion de complicité comprend à la fois l’idée d’un jugement moral et d’un statut juridique, ce qui rend le sujet compliqué. Dans un premier temps, il semble évident qu’il y ait eu une sorte de co-responsabilité de tous ceux qui étaient susceptibles d’agir, que ce soit les membres permanents du Conseil de sécurité, l’Union africaine ou les voisins africains. Mais la France, dans la mesure où elle était impliquée depuis 1990 et en raison de son intervention en faveur du régime Habyarimana alors attaqué par les forces du Front patriotique rwandais (FPR), a en effet une responsabilité particulière. Son engagement dans la résolution du conflit s’est fait sans que les termes de sa politique n’aient à aucun moment été modifiés devant la réalité et l’évolution du régime. La France n’a jamais renoncé à la conception ethnique de la représentation politique au Rwanda, et elle s’est accrochée à la solution d’un « Hutu power » comme seule issue possible du conflit, tout en faisant mine de pousser aux accords d’Arusha[^2]. De même, à aucun moment le gouvernement intérimaire rwandais n’a fait l’objet d’une condamnation de la part de la France, qui certes n’était pas son seul soutien mais qui, en tant que mentor des accords d’Arusha, occupait une position particulière. C’est là que se situe la faute morale et politique.
Souvenons-nous bien d’une chose. C’est que les dernières livraisons d’armes en faveur du « Hutu power » arrivées à Goma, au Zaïre de l’époque, de l’autre côté de la frontière, début juillet 1994, provenaient de trois pays : Israël, l’Afrique du Sud et l’Égypte. Or, aucun de ces trois pays n’a été mis au pilori par Kagamé, qui, au contraire, recherche leur appui. On voit bien que ce n’est pas la hiérarchie de la gravité des mesures prises qui commande, mais plutôt des effets d’opportunité politique.
Que penser de la décision de la France de ne pas se faire représenter au niveau ministériel lors des commémorations ?
Celui qui a rompu les usages diplomatiques, c’est le Président Kagamé. Je ne crois pas que la France aurait pu prendre le risque diplomatique d’envoyer un ministre français qui aurait dû subir des mesures d’intimidation et d’humiliation publique. Face à ce brutal retour de l’accusation publique, la France n’avait pas le choix.
Propos recueillis par Denis Sieffert
[^2]: Les accords d’Arusha (Tanzanie) prévoyaient un partage du pouvoir entre le régime Habyarimana (Hutu) et le FPR de Paul Kagamé (Tutsi).