« Une place au milieu du monde », de Patrice Robin : Sortir de soi

Une place au milieu du monde, de Patrice Robin, témoigne d’une expérience d’ateliers d’écriture.

Christophe Kantcheff  • 10 avril 2014 abonné·es

Comme beaucoup d’écrivains, Patrice Robin anime des ateliers d’écriture. Non à l’université, mais auprès de personnes qui rencontrent des difficultés. En l’occurrence, des adolescents en rupture d’école, des détenus, des RMIstes. De son expérience sur plusieurs années, il a fait un livre, Une place au milieu du monde. Un véritable livre, qui porte des enjeux littéraires, pas un catalogue de citations, même si, bien sûr, on y trouve des phrases écrites par ceux avec lesquels l’auteur a travaillé. Ou plus exactement son personnage écrivain, Pierre. Patrice Robin a en effet transposé des situations vécues ; il parle même de « roman » sur le site de son éditeur, bien que le mot ne figure pas en couverture. Le fait que ces séances d’ateliers d’écriture ne restent jamais au plan du simple exercice, du passe-temps gratuit, est au cœur du livre. Certes, il faut, notamment avec les adolescents, un élément ludique déclencheur, nécessairement bien adapté. Mais ensuite, avec ceux qui acceptent ou sont capables d’entrer dans le « jeu » (certains restent d’emblée en dehors et ne reparaissent plus aux séances), le geste d’écrire emmène souvent loin, dans les regrets, les espoirs, les joies ou, plus fréquentes, les brûlures encore vives. Ces mots puisés loin en soi ou tout proches mais soudain libérés font bouger. Ils ne sont pas magiques, ne règlent pas tous les problèmes, ne font pas sortir de prison. Mais ils contribuent au moins à mettre à distance, à verbaliser un chaos intérieur. Exemple, « Lissah établit une courte liste de premières fois, première dent, premier jour d’école, première chute de vélo, trois petites douleurs pour se donner le courage, peut-être, d’écrire la quatrième : “Je me souviens du décès de mes parents”. »

Patrice Robin montre que Pierre n’est pas le dernier à être bousculé par ces séances, son regard évolue, son implication aussi. Elles sont en cela une aventure commune, qui engage autant les participants que l’animateur. C’est ce qui constitue leur éthique, dont Une place au milieu du monde est le témoignage. On ne peut rester indifférent non plus au rôle que jouent les œuvres de grands écrivains dans ces séances. Pierre suit en effet une méthode établie par François Bon, où Espèces d’espaces, de Perec, l’Ombilic des limbes, d’Artaud, ou Il fait un temps de poème, de Charles Juliet, pour ne citer que celles-là, entraînent le mouvement d’écriture. Chez des adolescents en souffrance ou des adultes aux « vies brisées ». La preuve, si besoin en était, que la littérature la plus exigeante n’est pas fatalement élitiste. Encore faut-il vouloir la donner en partage.

Littérature
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