Vertige du cabot

Julia Vidit et François Clavier donnent une nouvelle vie au Faiseur de théâtre de Thomas Bernhard.

Gilles Costaz  • 10 avril 2014 abonné·es

Toute pièce de Thomas Bernhard est une litanie massacrante, l’acharnement d’un marteau tapant sans cesse sur la même enclume et les folies de la société. Dans le Faiseur de théâtre, un cabot du nom de Bruscon vient s’installer dans l’auberge d’un petit village pour mettre en place le spectacle qu’il donnera le lendemain.

Village minuscule, spectacle mégalomane. Le texte qui doit être joué s’appelle la Grande Roue de l’Histoire et fait défiler Metternich, Napoléon, Hitler, Churchill… Ce Bruscon, persuadé d’avoir écrit une fresque géniale, fait régner son despotisme sur tous ceux qui l’entourent. D’abord sur les gens de l’auberge, plus portés à la fabrication de la charcuterie qu’à l’écoute culturelle. Ensuite sur son équipe, qu’il n’est pas allé chercher très loin : elle se compose de sa femme, de sa fille et de son fils. Tous ont la chance d’écouter les conseils et les souvenirs d’un artiste que le nazisme, en Autriche, n’a jamais gêné, tant il se sent au-dessus de ses concitoyens ! Mais, dans ce village perdu, combien de gens viendront voir la pièce ? Après la création en langue française par Jean-Pierre Vincent, pour la mise en scène, et Bernard Freyd dans le rôle principal, le Faiseur de théâtre a peu été représenté. Il faut des athlètes et des fanatiques de la difficulté ! En voilà de nouveaux qui donnent un éblouissant ressort à cette farce assassine. Il y a d’abord, pour la mise en scène, la jeune Julia Vidit, qui a admirablement orchestré ce monologue à plusieurs (passage continuel des gens de l’auberge, porteurs de baquets de saucisses et de récipients divers, digne des grands films comiques parce que d’un burlesque follement vrai !). On aime moins l’utilisation de masques dans le dernier acte, mais ils ont une puissance carnavalesque.

D’autre part, l’acteur qui incarne férocement tous les acteurs et tous les auteurs du monde, c’est François Clavier. Ce qu’il réussit à faire est colossal. Il assène en hercule scénique les vérités odieuses du personnage, mais avec le sentiment d’un vertige, comme si le trop-plein était toujours au bord du vide et de la peur. On est rarement aussi estomaqué.

Théâtre
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