Boko Haram : La fausse innocence du monde

Entre corruption et prostitution, le régime d’Abuja a sa part de responsabilité dans la montée en puissance de la secte Boko Haram.

Louise Pluyaud (collectif Focus)  • 15 mai 2014 abonné·es
Boko Haram : La fausse innocence du monde
© AFP PHOTO / BOKO HARAM

Notre monde est coutumier du fait. Prompt à s’indigner devant des actes de barbarie qui semblent surgir de nulle part. L’affaire de l’enlèvement de quelque deux cents lycéennes nigérianes par la secte Boko Haram illustre une nouvelle fois cette schizophrénie planétaire. À juste titre, depuis quelques jours, les États-Unis, la France et toutes les grandes puissances manifestent avec véhémence leur indignation. Une indignation qui vise aussi le gouvernement nigérian, lequel a attendu dix jours avant d’alerter la communauté internationale. Dans cette affaire, beaucoup de questions alertent sur la responsabilité du Nigeria, mais aussi sur celle des grandes nations.

Première puissance économique d’Afrique, le Nigeria, avec ses 170 millions d’habitants, est le pays des paradoxes. Son économie se porte bien, mais pas sa population. Fier de ses puits de pétrole et de l’abondance de ses denrées alimentaires, le territoire est rongé par une corruption endémique. Au hit-parade de la corruption, il est classé 130e sur 200 par l’ONG Transparency International. Lors d’une convention sur l’Europe, Eva Joly notait déjà en 2008 que « le Nigeria a été pillé probablement de 20 milliards de dollars en trente années », avant de préciser que « les fonds se trouvent en Europe, essentiellement en Angleterre, en France, en Suisse ». Une des raisons qui expliquerait pourquoi le Nigeria est un pays riche, mais dont les habitants sont pauvres. Avec cependant un déséquilibre géographique. Si les différents gouvernements ont investi dans le centre et le sud du pays, là où se concentrent les principales agglomérations, ils ont sciemment délaissé le nord désertique, en lisière du Sahara. C’est dans cette zone du nord-est, laissée à l’abandon et où les trois quarts des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (60 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour), que la secte Boko Haram s’est organisée, endoctrinant les plus vulnérables.

Forte de ses préceptes radicaux, ** elle recrute dans ses écoles coraniques des jeunes en perte de repères, des chômeurs, et les transforme en « combattants islamistes ». Des combattants qui bénéficient de relais au Niger, au Tchad et au Cameroun, et qui vouent une haine aux puissances occidentales, considérées comme pilleuses de ressources et aveuglément profiteuses. C’est cette violence première que la secte islamiste nous renvoie à sa manière, de la façon la plus barbare. D’après l’ONG Amnesty International, Boko Haram aurait fait plus de 1 500 morts depuis le début de l’année. La veille de l’enlèvement des jeunes filles, un énième attentat revendiqué par la secte avait frappé la capitale, Abuja, faisant 71 morts et 124 blessés. Depuis un an, les forces militaires du Président Goodluck Jonathan se déploient dans les États de Borno, Yobe et Adamawa, au nord-est du pays, soumis à l’état d’urgence. Mais, malgré les moyens mis en œuvre – 23 % du budget de la première puissance économique et militaire africaine sont depuis consacrés à la sécurité –, les résultats ne sont pas à la hauteur et ne parviennent toujours pas à éradiquer la menace islamiste. En grande partie parce que la solution n’est évidemment pas seulement militaire, mais économique et sociale. Car, en parallèle de ses activités terroristes, Boko Haram est aussi une entreprise qui se livre à un business lucratif : celui de la prostitution. Là encore, la réalité est plus complexe qu’il y paraît. Car si Boko Haram existe, c’est que de puissants réseaux travaillent directement ou indirectement avec la secte.

Le Nigeria est le second pourvoyeur de prostitution en Europe derrière les pays de l’Est. Et le sort qui attend les deux cents jeunes filles, c’est d’être vendues entre 10 et 15 dollars, avant d’être transférées en Europe ou aux États-Unis. Une économie florissante à laquelle prennent également part des membres de l’armée. Derrière la monstruosité de Boko Haram, il y a donc un « marché », et des responsabilités multiples.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Gaza, le retour dans les ruines
Reportage 5 février 2025 abonné·es

Gaza, le retour dans les ruines

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas fin janvier, près de 400 000 Palestiniens sont rentrés chez eux, dans le Nord, selon l’ONU. Des familles entières qui, après quinze mois de guerre d’une violence extrême, sont à nouveau plongées dans un désastre humanitaire.
Par Alice Froussard
« Aux États-Unis, l’existence des personnes trans pourrait être rendue impossible »
Entretien 4 février 2025 abonné·es

« Aux États-Unis, l’existence des personnes trans pourrait être rendue impossible »

Alors que Donald Trump multiplie les décrets transphobes, Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes et autrice de Le Lobby transphobe (Textuel, 2024) revient sur le poids que ces décisions peuvent avoir dans le contexte français.
Par Hugo Boursier
Jim Acosta, « bête noire de Trump », quitte CNN : est-il déjà trop tard ?
Sur le gril 3 février 2025

Jim Acosta, « bête noire de Trump », quitte CNN : est-il déjà trop tard ?

Le célèbre journaliste a préféré démissionner qu’être rétrogradé par la chaîne d’information. Les mots qu’il a prononcés en direct sonnent comme un cri de ralliement face à l’ère fasciste qu’annonce le second mandat du 47e président des États-Unis.
Par Pauline Bock
Donald Trump en croisade contre les personnes transgenres
Minorités 30 janvier 2025 abonné·es

Donald Trump en croisade contre les personnes transgenres

La nouvelle administration états-unienne entame son mandat avec une série de mesures radicales, destinées à effacer l’héritage progressiste des années Biden. La Maison-Blanche s’emploie désormais à restaurer ce qu’elle appelle « les valeurs américaines ». Derrière ces décisions, Trump mène avant tout une attaque frontale contre les droits fondamentaux, dans un climat de haine exacerbée.
Par Maxime Sirvins