Clémentine Autain : « Pour un rassemblement plus large que le FDG ! »

Porte-parole d’Ensemble !, composante du Front de gauche, Clémentine Autain nous livre sa lecture des résultats et les leçons à en tirer.

Denis Sieffert  et  Léa Ducré  • 29 mai 2014 abonné·es
Clémentine Autain : « Pour un rassemblement plus large que le FDG ! »

Pourquoi le rejet de la politique menée par le gouvernement n’a-t-il pas profité au Front de gauche ? Clémentine Autain appelle les forces politiques qui le composent à s’unir dans un projet attractif et à s’ouvrir dans une organisation politique plus souple, plus horizontale, qui lui permette de retrouver un véritable élan populaire.

Quel est votre sentiment au lendemain de ces élections européennes ?

Clémentine Autain : Comme beaucoup de personnes de gauche, je suis malheureuse de voir cette France bleu marine, cette abstention structurelle et la gauche défaite. Cependant, je ne partage pas cette idée de « séisme politique ». Même s’ils sont pires que prévus, les résultats me semblent raccords avec la situation telle qu’elle se trame depuis trente ans. Les politiques néolibérales produisent la désespérance qui est le terreau de l’extrême droite. Face à la crise de régime et de civilisation que nous traversons, la tentation du repli, d’un retour à l’ordre ancien est forte. C’est à nous d’imaginer l’autre chemin, celui de l’émancipation humaine, et de rendre cette voie désirable.

Est-ce que, tout de même, il n’y a pas eu certaines erreurs d’analyse sur le Front national ?

Bien sûr. Dire qu’il y aurait 25 % de fascistes en France serait absolument faux. Il est important d’observer que le parti de Marine Le Pen n’est pas celui de Jean-Marie Le Pen. Le Front national a fait une mue qui le sort de ses outrances d’hier. Ça ne veut pas dire que ce n’est plus un parti raciste, xénophobe, autoritaire, mais il veut aujourd’hui rentrer dans le cadre démocratique. Marine Le Pen veut prendre le pouvoir et, pour cela, flirte avec la droite classique. Et elle capte les préoccupations sociales. Cela pose à la gauche une difficulté réelle. Pourtant, le Front national ne défend pas la protection sociale. Il porte le discours sur les « assistés », contre ces Français prétendus fainéants. Il est du côté de la propriété et du libéralisme économique. L’extrême droite se positionne à la fois dans l’antisystème et dans la réaction radicale. À nous de dire la dangerosité de son projet, notamment pour les catégories populaires. Il faut assumer la confrontation franche avec lui tout en sachant que c’est l’attractivité de notre propre projet qui sera déterminante pour faire reculer le FN. Cela suppose de nous dissocier plus clairement de la politique du gouvernement et de la majorité du PS.

Une autre question se pose tout naturellement : pourquoi n’est-ce pas la gauche de la gauche qui profite de ce contexte de crise ?

La social-démocratie est en déroute partout en Europe, ce qui laisse en effet des potentialités fortes pour une gauche de transformation sociale et écologique. Mais ce n’est pas mécanique. Pourquoi en France le Front de gauche ne remporte pas la mise comme Syriza ? En Grèce, la mobilisation sociale est vigoureuse après les dégâts de neuf plans de rigueur. La France semble, elle, frappée de paralysie devant toutes ces alternances qui ne changent rien, face à ce gouvernement dit de gauche qui mène une politique de droite. Le Parti socialiste a une responsabilité majeure dans la situation actuelle. La politique de François Hollande a emporté toute la gauche, mais la défaillance mortifère du PS ne suffit pas à expliquer pourquoi le Front de gauche n’a pas davantage la main aujourd’hui. Nous devons balayer devant notre porte. On entend dire qu’il faudrait minorer le score du FN parce qu’il y a eu une forte abstention. Comme si tous ceux qui se sont abstenus n’auraient jamais voté à l’extrême droite ! Ce qui compte, c’est de voir quel est le camp qui a réussi à mobiliser le plus. Force est de constater que le FN a réussi, pas nous. Le Front de gauche n’a pas retrouvé les dynamiques de 2005, quand nous avons dit non au traité constitutionnel européen, et de 2012 autour de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle. Cet essoufflement est la conséquence à la fois d’erreurs tactiques récentes et de difficultés de fond.

Pouvez-vous préciser l’analyse que vous faites de ces erreurs ?

Au lendemain de la présidentielle et des législatives, le Front de gauche n’a pas su imaginer une architecture organisationnelle qui permette de pérenniser cette implication. Il s’est coupé de l’élan citoyen et militant. Le cartel d’organisations s’est alors très vite transformé en tête-à-tête mortifère entre le Parti communiste français et le Parti de gauche. Si le fonctionnement pyramidal et caporalisé peut avoir une efficacité à très court terme, il ne marche plus pour structurer et développer un espace politique dans la durée. Tant que nous ne proposerons pas une organisation politique plus souple, plus ouverte, plus horizontale, soucieuse du renouvellement de ses élus, porte-parole et cadres politiques, nous n’aurons pas cette force politique, sociale et intellectuelle porteuse de majorités.

Mais il y a aussi des causes plus profondes…

Oui, le problème, c’est le travail de refondation qu’il reste à produire. Cette ambition s’exprime depuis longtemps mais la rénovation n’est pas prise au sérieux dans les lieux de direction. Le Front de gauche a des partis pris nets et identifiants. Il combat les logiques capitalistes et productivistes, il défend les retraites, le système social, la hausse des salaires, mais son projet n’est pas propulsif, il apparaît souvent comme porteur de recettes anciennes. Il faut faire un effort de novation : s’ouvrir sur la société, à la pensée critique contemporaine, au monde culturel pour inventer un nouvel imaginaire, des mots et une forme politique nous permettant d’être audibles et entraînant dans le monde contemporain. Car il ne s’agit pas de revenir à, mais d’aller vers. De nouvelles questions doivent être traitées, comme le consumérisme ou le droit à la ville. L’articulation entre individu et collectif, comme entre égalité et liberté, mérite d’être repensée. Si nous n’avons pas cette audace de l’expérimentation nouvelle, nous irons toujours dans le même mur.

Dans l’immédiat, quelles initiatives comptez-vous prendre ou soutenir ? 

Avant l’été, des initiatives doivent être prises pour initier un rassemblement plus large que le Front de gauche. Il faut tendre la main à tous ceux qui ont envie de s’engager sur cette construction alternative : dans le mouvement social, à Europe Écologie-Les Verts, au PS, à Nouvelle Donne, chez les féministes qui se sont présentées de façon autonome. Je trouve de plus en plus navrant cette coupure entre la gauche et le monde culturel et intellectuel. À Ensemble !, nous portons aussi l’exigence d’une refonte des rapports entre social et politique. Si nous prenons aujourd’hui nos responsabilités en nous renouvelant sur le fond comme sur la forme, il pourrait y avoir un élan populaire pour une gauche de transformation sociale et écologique à la hauteur des défis du XXIe siècle.

Politique
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