Contre la traite des mille vaches
À Drucat, dans la Somme, déboutés de leur action contre la construction de la plus grosse ferme laitière de France, les opposants comptent bien entraver le lancement de sa production, prévu dès juillet.
dans l’hebdo N° 1301 Acheter ce numéro
Sur la plaine picarde, au nord d’Abbeville (Somme), l’étable hors norme en voie d’achèvement émerge d’une parcelle nue aux sillons tirés au cordeau. Longue de 234 mètres, elle pourra accueillir un millier de vaches laitières qui n’en sortiront jamais, soumises à trois traites par jour. L’exploitation – une dizaine de bâtiments – devrait aussi accueillir 750 génisses et veaux. Elle sera dotée d’un méthaniseur dix fois plus puissant que les modèles classiques pour « digérer » les excréments des bovins et produire du biogaz puis de l’électricité, vendue à EDF. Un gigantisme inédit en France. Le propriétaire, Michel Ramery, industriel régnant notamment sur le BTP de la Normandie au Pas-de-Calais [^2], est allé chercher l’inspiration en Allemagne.
Cette focalisation sur la ferme Ramery exaspère la branche départementale de la FNSEA. « Arrêtez de liguer la population contre les éleveurs et contre tout projet ! », lance le syndicat agricole majoritaire. L’Union des producteurs laitiers de Picardie, qui en est membre, « regrette certes qu’il ne s’agisse pas d’un projet d’agriculteurs, mais la taille de l’exploitation ne nous choque pas, commente Olivier Thibaut, son président. On peut en attendre des gains de productivité, alors que la disparition des quotas laitiers, en 2015, nous exposera plus durement à la concurrence internationale ». Novissen vient de lancer une campagne pour interpeller Senoble. L’entreprise agroalimentaire aurait signé pour écouler la production des mille vaches, que Ramery s’est dit prêt à vendre 0,27 euro le litre, soit 20 % en dessous du cours actuel. Déduction des opposants : c’est donc le méthaniseur qui assurera la rentabilité de la ferme. « Le lait, sous-produit de la merde : voilà l’agriculture qu’ils défendent ! », tonnait l’eurodéputé José Bové lors d’une manifestation. Le bras de fer est entré dans une phase purement politique : le temps que le Conseil d’État se prononce, la ferme devrait être achevée, « créant un fait accompli assorti d’une autorisation d’exploiter quasi automatique », redoute Grégoire Frison. La Confédération paysanne a interpellé le ministre de l’Agriculture et le président de la République sur la cohérence du projet Ramery avec une « agroécologie » consacrée par la récente loi d’avenir agricole. Sans réponse, et sans illusion. Les opposants soupçonnent l’entrepreneur, très en cour chez les socialistes du Nord, de cultiver des liens haut placés. « Si François [Hollande] me le demande, j’arrête tout », a-t-il un jour déclaré en présence de Michel Kfoury. La ferme aux mille vaches annonce une première traite en juillet. « Nous allons faire en sorte qu’elle n’ait pas lieu », prévient Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, convaincu que la partie se jouera sur un rapport de force.
[^2]: Voir Politis n° 1268, du 12 septembre 2013.
[^3]: www.novissen.com