Couleur bleu de travail

Dans Sortie d’usine, Nicolas Bonneau joue en scène le monde ouvrier d’aujourd’hui.

Gilles Costaz  • 8 mai 2014 abonné·es

Sur scène, Nicolas Bonneau ne dispose que d’une chaise de bureau à roulettes et d’un paillasson métallique. Il a sur le dos une veste couleur bleu de travail. Sur le plateau vide, il tournoie avec sa chaise ou l’arrête en plein centre pour attraper les souvenirs, les anecdotes, les épisodes d’une enquête qu’il a longuement menée. Cela sent l’atelier, l’usine. Précisément, son spectacle s’appelle Sortie d’usine. Il évoque le travail des ouvriers tel qu’il est dans les entreprises dont cet artiste est allé observer le quotidien.

Bonneau a surtout opéré dans le marais poitevin (terre de Ségolène Royal, qu’il ne semble pas porter dans son cœur, et de Yannick Jaulin, le grand conteur avec lequel il travaille à Pougne-Hérisson) et a privilégié les secteurs de la tuilerie, de la métallurgie et de la lingerie, ignorant les patrons, n’ayant d’attention que pour les salariés. Voilà l’ouvrier qui a vu mourir deux de ses camarades atteints par les produits chimiques. Voilà le soudeur retraité qui n’a rien oublié. Et puis le délégué syndical, qui semble lisse mais porte en lui le secret de son engagement. Et cette femme qui reprend le travail une heure après avoir eu le doigt percé par l’aiguille de sa machine. Et tant d’autres qui souffrent et savent rire.

À leur histoire, Bonneau mêle la sienne : comment il les a fait parler en leur faisant valoir que c’était pour un spectacle, comment ils l’ont accueilli chaleureusement sans trop croire à cette histoire de théâtre… Et comment lui, fils d’ouvrier, n’a pas toujours compris son père. Un spectacle en colimaçon, ** très giratoire. ** Nicolas Bonneau imite rarement les personnages dans leurs attitudes. Il saisit les gens dans leurs conversations, leur art de bien ou mal parler. Mais, arrivé au chapitre de la lingerie, il dessine à partir de son corps, représente la travailleuse mécanisée par la machine à coudre et le bruit. Bonneau est l’acteur-auteur de cette soirée, avec la complicité d’Anne Marcel, qui l’a mis en scène et a collaboré à l’écriture. Il est militant à sa façon. Et veut que le théâtre soit fraternel avec cette population que la scène ignore souvent. Sa fraternité est talentueuse, rieuse et aussi bagarreuse.

Théâtre
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