ESS : Une loi de faible envergure

Adopté à l’Assemblée nationale, le texte sur l’économie sociale et solidaire est présenté comme une innovation. Il ne fait pourtant pas l’unanimité.

Thierry Brun  • 22 mai 2014 abonné·es
ESS : Une loi de faible envergure
© Photo : AFP PHOTO / JEFF PACHOUD

Valérie Fourneyron, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire emploie les grands mots : le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) adopté le 20 mai à l’Assemblée nationale est « l’une des grandes lois économiques de ce quinquennat, c’est une nouvelle donne pour la France, c’est une révolution ! »  [^2] Pourtant, le texte préparé par Benoît Hamon, alors ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire du gouvernement Ayrault avant de devenir ministre de l’Éducation dans le gouvernement Valls, ne suscite pas l’enthousiasme de ses débuts.

Le projet de loi est censé concrétiser l’engagement pris par François Hollande de reconnaître la place importante de ce secteur économique. Lequel regroupe associations, mutuelles et coopératives, représente près de 10 % du produit intérieur brut et rassemble 2,3 millions de salariés. C’est « un bon texte pour un changement d’échelle de l’ESS. Il s’agit de promouvoir une économie au service de la satisfaction des besoins humains, une économie coopérative et démocratique », estime Christophe Cavard, député EELV et un des rapporteurs du texte. Les députés du Front de gauche ont examiné « avec un œil favorable » ce projet de loi, a assuré André Chassaigne, président du groupe Front de gauche à l’Assemblée. Il estime nécessaire d’encourager « des formes décentralisées de propriété sociale et de systématiser le recours aux modes d’organisation propres à l’ESS ». Mais la loi « inclusive » défendue par Yves Blein, député socialiste et rapporteur général, est loin d’affirmer les valeurs qui font de ce secteur une potentielle alternative économique, sociale et environnementale. Dans ses premiers articles, « la loi ouvre abusivement le périmètre, au risque de confusions et donc d’un affaiblissement, d’une ESS manquant déjà de lisibilité », s’inquiète Jean-Philippe Milesy, consultant en économie sociale et animateur des suppléments mensuels de l’Humanité consacrés à l’ESS. La Fnars, Coorace et Emmaüs France, trois grandes organisations d’action sociale, médico-sociale et d’insertion par l’activité économique, ont bataillé en vain pour que le changement d’échelle ne se fasse pas « au détriment des principes fondateurs inscrits dans les statuts historiques de l’économie sociale et solidaire : la gouvernance démocratique, la lucrativité limitée et l’encadrement des rémunérations ». Au lieu de cela, « on fait entrer, au prix de certains aménagements, des sociétés de capitaux, alors que la définition de l’économie sociale concerne des sociétés de personnes non lucratives », réagit Jean-Philippe Milésy.

Les articles 11 et 12 du projet de loi, qui prévoient un droit d’information préalable des salariés en cas de cession des entreprises de moins de 250 salariés, sont aussi l’objet de critiques : André Chassaigne n’a pas trouvé dans le texte « un véritable droit de rachat prioritaire, à offres égales, pour les salariés, qui leur permettrait de reprendre leur entreprise sous forme coopérative. C’était pourtant un engagement public de François Hollande ». Il n’est en effet nullement question des coopératives dans ces articles. « Il y a certes la définition de la subvention, des mesures techniques pour le financement des mutuelles, des associations, des coopératives de portage et des groupes coopératifs. Tout cela est positif, mais ne fait pas une “loi” au plein sens du terme », reproche Jean-Philippe Milésy.

[^2]: « La révolution de l’innovation sociale est en marche ! », tribune publiée le 14 mai dans le Huffington Post.

Économie
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?
Économie 4 décembre 2024 abonné·es

Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?

Au cœur de la détresse des exploitants : la rémunération globalement bien trop faible, en dépit de fortes disparités. La question, pourtant, peine à faire l’objet de véritables négociations et à émerger dans le débat public.
Par Vanina Delmas
Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte
Transport 5 novembre 2024 abonné·es

Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte

Après l’annonce de la liquidation, au 1er janvier 2025, de Fret SNCF, les syndicats de cheminots unis ont été reçus par la direction ce 5 novembre. Ils déplorent un passage en force et annoncent une « fin d’année très conflictuelle ». Première journée de grève prévue le 21 novembre.
Par Pierre Jequier-Zalc
Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?
Budget 4 novembre 2024 abonné·es

Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?

Depuis trois semaines, le Nouveau Front populaire enchaîne les victoires sociales et écologiques dans un hémicycle clairsemé. Au point que la copie actuelle du budget serait, selon Éric Coquerel, « NFP-compatible ». Jusqu’au 49.3 ?
Par Lucas Sarafian
Les 10 scandales du budget Barnier
Budget 15 octobre 2024 abonné·es

Les 10 scandales du budget Barnier

Le budget 2025 se présente comme l’un des plus austéritaires depuis des décennies. En refusant de tirer un trait sur la politique de l’offre, il abrite de nombreuses mesures injustes qui risquent d’accroître plus encore les inégalités sociales et écologiques.
Par Pierre Jequier-Zalc