Euro or not euro ?
Le débat masque celui sur le projet, souverainiste ou fédéraliste.
dans l’hebdo N° 1301 Acheter ce numéro
La controverse sur la sortie de l’euro prend l’apparence d’un débat technique que l’on peut résumer par la question suivante : comment résorber le déséquilibre macroéconomique lorsqu’un pays subit un déséquilibre de sa balance des paiements ? Les partisans de l’euro soutiennent que la zone euro doit, pour résorber ces « chocs asymétriques », devenir une « zone monétaire optimale » : la mobilité des facteurs de production entre les régions en difficulté et en expansion doit être forte, un budget communautaire important doit pouvoir financer la convergence vers le haut de tous les pays. Les opposants à l’euro leur répondent que la zone euro est loin d’être une zone monétaire optimale. Ils se prononcent en faveur d’un ajustement par le taux de change. En cas de déficit extérieur, la dévaluation restaure la compétitivité-prix du pays subissant le choc et renchérit ses importations. En cas d’excédent, la réévaluation de sa monnaie produit l’effet symétrique. Une monnaie commune définit le pivot autour duquel fluctuent les monnaies nationales et en laquelle il faut convertir celles-ci pour commercer hors de la zone couverte par cette monnaie commune.
Les pro-euro opposeront à leurs contradicteurs que la spéculation contre les monnaies nationales ainsi que les risques liés aux variations de change dans le commerce international réapparaîtront. Ils ajouteront que le coût de financement de la dette publique s’alourdira en cas de dévaluation et d’accroissement de la prime de risque que ne manqueront pas d’exiger les marchés. Ils insisteront sur la perte de pouvoir d’achat consécutive au renchérissement des matières premières énergétiques et alimentaires, qui surviendrait en cas de dévaluation. Ils attireront enfin l’attention sur le jeu à somme nulle susceptible de résulter des dévaluations simultanées et intempestives des pays déficitaires, qui subiraient alors un regain inflationniste dommageable.
Les anti-euro leur rétorqueront que la Banque centrale pourrait monétiser la dette publique en cas de spéculation, que les conditions ne sont pas réunies pour qu’un budget communautaire organise des transferts massifs vers le sud et l’est de l’Union européenne. Dans ce contexte, l’ajustement continuera de s’opérer par la dévaluation interne, c’est-à-dire la déflation salariale et les politiques d’austérité budgétaire. Leur conséquence est d’ores et déjà un jeu à somme négative, où l’austérité généralisée plombe la demande européenne et conduit la zone euro au bord de la déflation. Ce diagnostic est à l’évidence partagé par les pro-euro de gauche, qui en appellent dès lors à la mise en œuvre de politiques budgétaires offensives, qu’interdisent malheureusement les textes européens, imprégnés de l’idéologie ordo-libérale, mais qu’ils appellent à modifier.
L’issue du débat ne saurait être technique. Le fétichisme de la monnaie masque en réalité l’attachement idéologique à un projet politique, souverainiste ou fédéraliste. Au tableau noir, les arguments techniques en faveur de l’un ou de l’autre projet peuvent en toute bonne foi être défendus. Le reste dépend de la maturité de chaque projet et de la volonté politique de leurs protagonistes. À cette aune, la haute administration française, réputée euro-béate, est bien plus souverainiste qu’on ne le croit, et de surcroît convertie à l’idéologie néolibérale.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.