Fonctionnaires contre austérité
À l’appel de sept syndicats, entre dix et vingt mille personnes ont manifesté à Paris, jeudi 15 mai, contre les politiques d’austérité. La bonne ambiance était au rendez-vous, la ferveur un peu moins.
À 14h30, des milliers de manifestants faisaient encore le pied de grue sur les pavés ensoleillés de la place Denfert-Rochereau, entre sonos de Syndi-camions et fumée de brochettes d’agneau.
Sous une pancarte exhortant François Hollande à arrêter de «lécher les bottes du CAC 40» se tient fièrement Jean, formateur d’instituteurs à l’École supérieur du professorat et de l’éducation (ESPE).
«La passion des enfants, c’est la productivité de l’école. Or le premier critère [pour la stimuler], tout le monde le sait, c’est le taux d’encadrement. En cours de langue au lycée, chaque élève a un crédit de moins de deux minutes…et on appelle ça langue vivante !»
Avis que partage une institutrice : «Nous défendons notre confort de travail. Il faut des conditions où tout le monde puisse respirer, ensemble, c’est comme ça qu’on apprend.»
«Des conditions de travail déjà très compliquées»
Le cortège s’ébranle doucement vers le Boulevard Raspail, où le comité de grève des postiers du 92 a établi son campement. Toutes banderoles déployées, le barbecue tourne à plein régime pour alimenter les manifestants et financer la caisse de grève des postiers. Les tracts rappellent leur situation, à grand renfort de mégaphone : «En grève depuis 107 jours ! Les Postiers de Rueil-Malmaison sont en grève majoritaire depuis le 29 janvier pour soutenir leurs quatre collègues renvoyés comme des malpropres ; la moitié ont obtenu un contrat mais la lutte n’est pas finie ! Une cagnotte circule, soutenez-les, mangez des hot-dogs, nous sommes tous concernés !»
6,3% des effectifs de La Poste, premier supprimeur d’emploi de France, se sont mis en grève jeudi, selon le ministère de la Fonction publique.
Dans la fonction publique hospitalière, ce chiffre était double : 12,7% de grévistes. Dont Patrice Vétéran, Responsable du pôle logistique dans un hôpital de Seine-Saint-Denis. Il déplore «les dizaines de milliards d’euros d’économies prévues sur la protection sociale» , et appréhende leur impact sur «des conditions de travail déjà très compliquées.»
«Depuis dix ans les conditions de travail se dégradent. Pratiquement tous les deux ans on a une nouvelle réforme. La dernière c’était la tarification à l’activité, qui amène à gérer les hôpitaux comme des cliniques privées. Dans le 93, un certain nombre de patients n’ont pas de couverture sociale. La mission de l’hôpital publique est de les prendre en charge, mais avec la tarification à l’activité, l’hôpital n’est plus remboursé pour ces actes-là. Les nouvelles lois imposant à l’hôpital de rester chaque année en équilibre budgétaire, la variable d’ajustement, c’est le personnel.»
Aux pôles logistique et technique, la réduction du budget, c’est l’externalisation.
«En 2007, se rappelle-t-il, Sarkozy avait invité les directeurs d’hôpitaux à « se recentrer sur leur cœur de métier de soignant ». Sauf qu’un plombier hospitalier connaît l’organisation du service dans lequel il intervient, il sait quelles précautions prendre pour se protéger des pathologies et respecter la confidentialité des patients. Les entreprises privées interviennent comme elles peuvent.»
Un de ses collègues tient à pointer le manque de pertinence de cette politique : «Intervenant souvent dans l’urgence, ces entreprises facturent au prix fort, et on se retrouve finalement avec des coûts plus élevés que si ça avait été fait par l’établissement.»
«Dès le début du mois, quand tout est payé, il ne reste plus grand chose.»
Hermance, aide soignante, réclame une revalorisation de son salaire. «Les loyers augmentent, je suis seule avec deux enfants… Dès le début du mois, quand tout est payé, il ne reste plus grand chose. Certains font comme ils peuvent et sont obligés de cumuler deux emplois.»
Cette autre aide soignante décrit les conditions de son travail dans le cadre de la pénurie d’effectif qu’ils connaissent : «Il y a beaucoup de contractuels qui ne restent pas, parce que la charge de travail est énorme, et les salaires pas intéressants. Les infirmiers courent tout le temps, n’ont pas de temps à accorder aux patients. Ce qui est absolument nécessaire est fait, mais il y a une dégradation énorme de la qualité des soins. Il n’y a pas l’accompagnement qu’il faut. Patients, infirmiers, aides soignants, tout le monde en souffre.»
«A côté de ça, soupire-t-elle, les fonctionnaires sont considérés comme des gens qui coûtent de l’argent. Pour nous qui nous consacrons au service public, c’est très douloureux.»
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