Grèce : « L’heure du peuple et de Syriza est arrivée »
Pour imposer son parti, Alexis Tsipras, candidat dimanche à un triple scrutin, a dû non seulement batailler à droite mais aussi rassurer son aile gauche. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.
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«Si Syriza fait peur aujourd’hui, c’est que, pour la première fois de son histoire, la gauche, la vraie, semble prête à prendre le pouvoir. » Irini Kondaridou, 38 ans, professeure de lettres et candidate aux élections municipales avec Antarsya, une formation d’extrême gauche qui a elle aussi le vent en poupe, se montre cependant critique. Car « être prêt à prendre le pouvoir », pour elle, ça veut dire aussi être prêt à faire des concessions. C’est la raison pour laquelle Irini ne votera pas Syriza à ces élections, alors qu’elle l’avait fait aux législatives de juin 2012. « À l’époque, Syriza ne cherchait pas à ratisser large et restait fidèle à ses engagements. » Pour elle comme pour l’aile gauche de Syriza, ce n’est plus le cas aujourd’hui pour ce triple scrutin : municipal, régional et européen.
Ce soutien accordé par l’extrême gauche tant que le parti en reste à une posture protestataire mais qui fait défaut quand il s’agit de prendre des responsabilités donne la mesure des problèmes que doit résoudre en permanence Alexis Tsipras, son leader. Au cœur des débats, l’intégration dans les listes Syriza de candidats comme Odysseas Boudouris, ex-député socialiste passé au Dimar (Gauche démocratique), qu’il a quitté avant de rejoindre Syriza. Sa candidature aux régionales a failli faire éclater le parti, l’aile gauche de Syriza lui reprochant d’avoir par deux fois voté en faveur des mémorandums d’austérité. « Si ma famille doit vivre avec 750 euros par mois, si mon mari est sans travail et si ma mère survit avec une demi-retraite, c’est parce que des Boudouris ont voté pour l’austérité de Merckel. Ils n’ont rien à faire dans Syriza. La gauche ne le pardonnera pas à Tsipras ! », juge sévèrement Irini.
Depuis plus de quarante ans, les deux grands partis politiques du pays, la Nouvelle Démocratie des conservateurs et le Pasok des socialistes, rassemblaient 80 % des suffrages. Aujourd’hui, les conservateurs sont talonnés aux alentours de 20 % par la gauche radicale d’Alexis Tsipras, désormais à la tête de l’opposition, et le Pasok sera heureux s’il obtient 5 %. Comme un signe avant-coureur, les candidats de Syriza ont flirté avec les 30 %, dimanche dernier, au premier tour des municipales à Athènes. C’est dire si la crise que traverse le pays a bouleversé le paysage politique. Les Grecs ne croient plus en leurs institutions traditionnelles, ils se tournent désormais vers de nouvelles formations. Pas moins de 43 partis se disputent leurs votes. À droite, à côté des conservateurs, le parti nationaliste et anti-mémorandum des Grecs indépendants et les néonazis d’Aube dorée sont crédités de 6 à 10 % des voix. À gauche, à côté de Syriza, le parti de la Gauche démocratique (Dimar), le Pasok et le Parti communiste (KKE), ce dernier remontant dans les sondages. Entre les deux, une myriade de formations qui vont des écologistes aux chasseurs en passant par le Parti pirate et la Rivière, fondée par un journaliste vedette qui pioche à gauche pour les questions sociétales et dans le libéralisme pour l’économie. Mais le plus grand parti sera sans aucun doute celui de l’abstention, estimée aux alentours des 60 %. Un record pour un pays où le vote est obligatoire !
Mieux, en devenant le candidat de la gauche au poste de président de la Commission européenne, Alexis Tsipras se taille un costume de responsable international. Une consécration. Tant pour la gauche grecque, elle-même longtemps confinée dans les rangs des partis sans avenir, que pour ce jeune ingénieur à qui personne, et surtout pas la presse grecque, ne fait de cadeaux. Prenant en compte le profond attachement des Grecs à l’Europe, Tsipras ne parle plus d’une sortie de l’euro, pourtant défendue par l’aile gauche de son parti, mais parie sur « une Europe de la cohésion sociale et de la solidarité, la seule Europe qui ait un avenir ». Depuis des mois, il traverse le pays et voyage dans toute l’Europe pour convaincre les marchés et les décideurs avec un discours modéré. « Il n’est pas idiot, il sait qu’il doit non seulement convaincre les électeurs pour gagner, mais aussi et surtout les marchés pour durer une fois au pouvoir », confie un proche de son équipe. D’où son déplacement aux États-Unis, très critiqué au sein de l’aile gauche de Syriza. Très avenant, faisant un tabac à chaque passage sur les plateaux télévisés, Tsipras insuffle de l’espoir à ceux qui n’en ont plus beaucoup. « L’heure des comptes » est arrivée pour « un système politique usé, une élite économique corrompue qui a mené la Grèce et son peuple à la tragédie d’aujourd’hui ; l’heure du peuple et de Syriza est arrivée », martèle-t-il.
En fait, Alexis Tsipras doit garder l’équilibre entre les modérés tentés de voter pour lui et les radicaux qui l’attendent au tournant. À ceux qui, sur sa gauche, lui reprochent de faire trop de concessions, il répond calmement : « La solution, ce ne sont pas de nouveaux emprunts, c’est moins d’emprunts et moins de dettes. » Et à ceux qui, sur sa droite, lui reprochent de ne pas avoir de programme, Alexis Tsipras en propose un en trois points : « L’instauration d’une “clause de développement” afin que le remboursement de la dette ne bloque pas le redressement économique comme c’est le cas actuellement ; la réduction de la valeur nominative de la dette publique, couplée à un moratoire sur le service de la dette afin d’accélérer la reprise avec l’argent économisé ; et, enfin, la recapitalisation des banques sans qu’elle soit comptabilisée dans la dette publique. » Ces trois points, développés lors d’un récent débat télévisé avec les autres candidats à la succession de Barroso, ont donné du crédit à Alexis Tsipras, même parmi ses détracteurs. « Sa force, désormais, celle qui lui permet de faire taire les plus radicaux de son parti mais aussi ses opposants, c’est qu’il a imposé son agenda. Tous les discours des dirigeants des autres partis font référence à ce qu’il dit, à ce qu’il fait. Qui l’eût cru ! », s’exclame un député conservateur qui préfère garder l’anonymat, de peur sans doute d’avoir l’air trop admiratif.