Grève des postiers : l’heure est à la coordination
Une quarantaine de postiers se sont réunis le 6 mai à la Bourse du travail à Paris, en lutte contre les réorganisations qui touchent La Poste. Pour eux, l’avenir est à la coordination.
100 jours de grève pour «les postiers du 92», une durée «surréaliste» , dénoncent les grévistes qui se sont réunis le 6 mai à La Bourse du travail, à Paris. Et pourtant, la direction reste de marbre : que se passe-t-il à la Poste ?
La grève est déclenchée le 29 janvier, lorsqu’une postière de Rueil-Malmaison apprend son licenciement le jour même où son «contrat d’insertion» prend fin. Motif avancé : la non possession du permis de conduire. Ses collègues réclament alors de leur direction qu’elle fasse preuve de bonne foi en lui accordant un CDD, délai nécessaire pour passer ledit permis. Une semaine plus tard, alors qu’un nouveau licenciement est attendu, les bureaux de Bois-Colombes, La Garenne-Colombes et d’Asnières rejoignent la grève.
L’absence de permis de conduire, alors qu’un contrat d’insertion est censé aboutir à une embauche, un prétexte parmi d’autres au licenciement, a mis le feu aux poudres alors que les postiers s’attendent à «la restructuration d’un centre tous les deux mois pendant deux ans, pour Paris» , explique Michel, postier retraité depuis peu.
La longue grève des postiers des Hauts-de-Seine s’est élargie à la contestation de la politique de la direction, dont EELV dénonçait jeudi «la stratégie de pourrissement» . Car, le 7 mai, la direction n’avait fait qu’un petit pas en levant un obstacle à la négociation, qui doit reprendre le 12 mai.
La lutte se concentre en Île-de-France, mais la dégradation des conditions de travail dépasse cette région, en raison du processus de réorganisation de La Poste et de la distribution des plis électoraux qui ont accru les problèmes. «Le gouvernement vient de décider de ne plus prendre en charge l’acheminement et la distribution de ladite “propagande électorale” pour les communes inférieures à 2 500 habitants. Ce n’est pas acceptable, rien ne peut justifier une telle décision» , protestait en mars Bernard Dupin, administrateur CGT du groupe La Poste.
«Un travail plus dur, dans des conditions dégradées»
Dans leur appel à la coordination en région parisienne, les postiers du 92 signalent que «dans tous les métiers, dans toutes les régions, les réorganisations signifient toujours plus de charge de travail, pour les mêmes salaires de misères. Malgré le discours sur “la baisse du trafic”, la réalité vécue par des dizaines de milliers de postiers, c’est celle d’un travail de plus en plus dur, dans des conditions dégradées. »
«La stratégie de l’entreprise est en effet de réorganiser métier par métier, site par site, et même service par service, indique le comité de grève des postiers dans un tract. En s’adaptant à cette stratégie, en réagissant au coup par coup, on ne peut au mieux que ralentir l’avancée du rouleau compresseur.»
Cette stratégie n’est pas pour rien dans le fatalisme qui est apparu dans les débats entre postiers le 6 mai. Le discours asséné depuis des années par la direction a fait son effet : le trafic du courrier baisse, les suppressions d’emplois paraissent inévitables. Le discours de La Poste peine à dissimuler la dynamique générale : «Sur un lot, on est 5 bureaux parisiens à être réorganisés dans les quelques mois qui viennent. Nous, c’est pour fin septembre. 22 suppressions d’emplois, classique : une équipe qui saute» , explique un postier du XVe arrondissement de Paris.
L’urgence est donc à la coordination des mouvements et à leur élargissement. «Il ne faut pas attendre que la boussole de la suppression d’emplois tombe sur son bureau pour bouger !» , lance Michel. D’autant que le groupe a enregistré 627 millions d’euros de bénéfices en 2013, avec une distribution de colis en forte hausse.
«La direction nous vole du temps de travail à chaque réorganisation»
Pour Gaël Quirante, de SUD-Poste 92 «le problème ce n’est pas tant l’argent, c’est la recherche du profit. Qui en profite et qui dirige ? Quand ton patron te bassine avec la baisse d’activité et qu’il touche 736 000 euros en 2013, ce n’est pas que t’as envie d’être à sa place, mais il se paie ta tête.»
La direction de La Poste a demandé l’autorisation de licencier Gaël Quirante à l’inspection du travail. Depuis le début de la grève, lui et ses collègues des Hauts-de-Seine organisent des prises de paroles dans les bureaux de poste et les centres de tri d’Ile-de-France. Les postiers revendiquent «des éléments précis sur la façon dont la boîte parle de la baisse du trafic. La direction compte de la même façon les cartes postales et les échantillons de café. Qu’en est-il des recommandés ? Elle nous vole du temps de travail à chaque réorganisation !»
Samedi 10 mai au soir, les postiers du 92 fêteront leur 101e jour de grève. Ils manifesteront lors de la journée nationale d’action de la fonction publique, jeudi 15 mai et un rassemblement est prévu le mercredi 21 mai au matin pour les soutenir.
Les conditions de travail au quotidien : témoignages de postiers
La «merdabilité de la sécabilité» : en Seine-Saint-Denis, c’est ainsi qu’il convient de parler de la nouvelle organisation, raconte Aziz, postier dans ce département, à propos de «Facteurs d’avenir», le programme de réorganisations de la distribution du courrier mis en place par la direction de La Poste. Dans son témoignage publié par l’Observatoire du stress dans les entreprises, une factrice décrit la dégradation des conditions de travail qui a accompagné la privatisation du groupe :
«Sur une équipe de facteurs, une des tournées est devenue sécable et a été attribuée à un facteur dit “d’équipe”, c’est-à-dire qu’elle est divisée en autant de parties qu’il y a de facteurs dans l’équipe. Un travail en équipe qui n’est que poudre aux yeux et qui stigmatise les agents malades, absents, cause pour les autres d’un surcroît de travail.»
«Pour ne pas être noyés» , être dans les temps, certains facteurs commencent plus tôt (début du service à 7 heures). Les nouveaux sur une tournée (plus nombreux avec la nouvelle organisation) terminent parfois après 17 heures. Le samedi de repos sur deux a été remplacé par une période de repos de deux ou trois jours toutes les six semaines.
Lire > la situation de risque sanitaire majeur à La Poste
La distribution des plis non adressés (PNA) comme la publicité sont obligatoires… mais pas rémunérés. Ainsi, lorsqu’ils ont appris que la distribution des plis électoraux avant les élections municipales allait leur être imposée, les postiers Catherine Dejoux et Gérard Soliva ainsi que leurs collègues du VIIe arrondissement de Paris ont exigé une rémunération.
Après «trois semaines de menaces» , l’ouverture d’une enquête administrative et un «chantage à l’emploi depuis le début» , les récalcitrants sont devenus minoritaires. Or, le premier jour de la campagne, au sommet des liasses de PNA, trônent les tracts du Front national (FN). «Provocation ou favoritisme pour un parti qui aurait une une facture plus élevée que les autres annonceurs ?» , s’interrogent les postiers qui estiment que la distribution du tract du FN va à l’encontre de leurs convictions et du devoir de réserve qu’ils doivent appliquer en intégrant la fonction publique. Une dizaine ont refusé la distribution de ces plis et ont reçu un avertissement.
Argument de la direction : «Un paquet de pâtes est un paquet de pâtes. Lustucru ou Panzani, tant qu’ils paient…»
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