Kerry demande « une pause »
Le secrétaire d’État américain s’efforce d’atténuer l’échec complet de sa mission, torpillée par le gouvernement israélien.
dans l’hebdo N° 1302 Acheter ce numéro
Habile façon de masquer l’échec patent de sa mission, John Kerry a estimé le 1er mai qu’il était temps pour les États-Unis de marquer « une pause » dans les pourparlers de paix israélo-palestiniens. En fait, à l’échéance du 29 avril, qu’il avait lui-même fixée pour présenter un plan de règlement du conflit, aucun accord n’était possible ou envisageable à moyen terme. Un échec prévisible malgré les onze visites du secrétaire d’État américain dans la région depuis le début de sa mission en juillet 2013. Pour la forme, et sans pouvoir tromper grand monde, John Kerry a indiqué que « les deux parties continuent de dire qu’elles estiment important de négocier et veulent trouver un moyen d’aller de l’avant ». En réalité, la négociation a d’emblée été condamnée du fait du renoncement américain à imposer à Israël le gel de la colonisation. La suite a démontré que la tactique israélienne était toujours la même : mettre à profit ces périodes dites de négociation pour continuer d’empiéter sur le territoire palestinien. Quelque 14 000 logements nouveaux ont ainsi été construits pendant la mission Kerry.
Comme si cela ne suffisait pas, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a créé dans ce laps de temps un autre obstacle rédhibitoire interdisant toute perspective d’accord, exigeant des Palestiniens la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif. Ceux-ci rejettent évidemment cette condition qui reviendrait à nier leur propre histoire et à officialiser un statut inférieur pour les Palestiniens de nationalité israélienne, lesquels représentent 20,7 % des 8,2 millions d’habitants que compte le pays. Les Palestiniens rappellent en outre que l’OLP a reconnu l’existence d’Israël en 1993. Le projet que le Premier ministre israélien a présenté dimanche au conseil des ministres est toutefois loin de faire l’unanimité au sein même de sa majorité. La ministre de la Justice, Tzipi Livni, notamment, y est fermement opposée. Mais, au-delà de l’habituelle stratégie de torpillage de tout accord de paix, le projet de la droite israélienne s’inscrit dans une perspective plus lointaine. Dimanche, Benyamin Nétanyahou a lui-même fait allusion au risque pour Israël d’un « État binational, juif et arabe ». On a là les contradictions d’une politique coloniale qui fait tout pour faire échouer la solution à deux États et favorise de fait un seul État allant de la Méditerranée au Jourdain. D’où la nécessité pour les actuels dirigeants israéliens, représentant tous plus ou moins directement le lobby des colons, d’inscrire la notion d’État juif dans les lois fondamentales d’Israël. Ce qui reviendrait à institutionnaliser la discrimination. Une façon pour Benyamin Nétanyahou de préparer la phase suivante du conflit lorsque l’apartheid ne sera plus seulement un état de fait, mais une politique quasiment assumée. Côté palestinien, on a deux fers au feu : la réunification du mouvement, qui devrait permettre d’installer un gouvernement de techniciens chargé de préparer l’élection présidentielle, à Gaza comme en Cisjordanie et à Jérusalem, et l’action diplomatique. Si le rapprochement Fatah-Hamas en vue d’un gouvernement d’union nationale est toujours fragile, l’action diplomatique est en revanche bien entamée. La Palestine a officiellement adhéré le 2 mai à cinq traités des Nations unies sur les droits de l’homme, notamment contre la torture et pour l’élimination de la discrimination raciale. Une démarche rendue possible par le statut d’observateur à l’ONU obtenu par la Palestine en novembre 2012.
L’Autorité palestinienne dispose d’une troisième arme, évoquée récemment par des négociateurs palestiniens devant l’adjoint de John Kerry, Martin Indyk : l’autodissolution. Une arme terrible et à double tranchant. Le principal négociateur palestinien, Saëb Erekat, s’était d’ailleurs empressé de démentir le propos de ses collègues. Mais la question se posera, car l’aveuglement de la politique israélienne y conduit.