Kerry demande « une pause »

Le secrétaire d’État américain s’efforce d’atténuer l’échec complet de sa mission, torpillée par le gouvernement israélien.

Denis Sieffert  • 8 mai 2014 abonné·es

Habile façon de masquer l’échec patent de sa mission, John Kerry a estimé le 1er mai qu’il était temps pour les États-Unis de marquer « une pause » dans les pourparlers de paix israélo-palestiniens. En fait, à l’échéance du 29 avril, qu’il avait lui-même fixée pour présenter un plan de règlement du conflit, aucun accord n’était possible ou envisageable à moyen terme. Un échec prévisible malgré les onze visites du secrétaire d’État américain dans la région depuis le début de sa mission en juillet 2013. Pour la forme, et sans pouvoir tromper grand monde, John Kerry a indiqué que « les deux parties continuent de dire qu’elles estiment important de négocier et veulent trouver un moyen d’aller de l’avant ». En réalité, la négociation a d’emblée été condamnée du fait du renoncement américain à imposer à Israël le gel de la colonisation. La suite a démontré que la tactique israélienne était toujours la même : mettre à profit ces périodes dites de négociation pour continuer d’empiéter sur le territoire palestinien. Quelque 14 000 logements nouveaux ont ainsi été construits pendant la mission Kerry.

Comme si cela ne suffisait pas, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a créé dans ce laps de temps un autre obstacle rédhibitoire interdisant toute perspective d’accord, exigeant des Palestiniens la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif. Ceux-ci rejettent évidemment cette condition qui reviendrait à nier leur propre histoire et à officialiser un statut inférieur pour les Palestiniens de nationalité israélienne, lesquels représentent 20,7 % des 8,2 millions d’habitants que compte le pays. Les Palestiniens rappellent en outre que l’OLP a reconnu l’existence d’Israël en 1993. Le projet que le Premier ministre israélien a présenté dimanche au conseil des ministres est toutefois loin de faire l’unanimité au sein même de sa majorité. La ministre de la Justice, Tzipi Livni, notamment, y est fermement opposée. Mais, au-delà de l’habituelle stratégie de torpillage de tout accord de paix, le projet de la droite israélienne s’inscrit dans une perspective plus lointaine. Dimanche, Benyamin Nétanyahou a lui-même fait allusion au risque pour Israël d’un « État binational, juif et arabe ». On a là les contradictions d’une politique coloniale qui fait tout pour faire échouer la solution à deux États et favorise de fait un seul État allant de la Méditerranée au Jourdain. D’où la nécessité pour les actuels dirigeants israéliens, représentant tous plus ou moins directement le lobby des colons, d’inscrire la notion d’État juif dans les lois fondamentales d’Israël. Ce qui reviendrait à institutionnaliser la discrimination. Une façon pour Benyamin Nétanyahou de préparer la phase suivante du conflit lorsque l’apartheid ne sera plus seulement un état de fait, mais une politique quasiment assumée. Côté palestinien, on a deux fers au feu : la réunification du mouvement, qui devrait permettre d’installer un gouvernement de techniciens chargé de préparer l’élection présidentielle, à Gaza comme en Cisjordanie et à Jérusalem, et l’action diplomatique. Si le rapprochement Fatah-Hamas en vue d’un gouvernement d’union nationale est toujours fragile, l’action diplomatique est en revanche bien entamée. La Palestine a officiellement adhéré le 2 mai à cinq traités des Nations unies sur les droits de l’homme, notamment contre la torture et pour l’élimination de la discrimination raciale. Une démarche rendue possible par le statut d’observateur à l’ONU obtenu par la Palestine en novembre 2012.

L’Autorité palestinienne dispose d’une troisième arme, évoquée récemment par des négociateurs palestiniens devant l’adjoint de John Kerry, Martin Indyk : l’autodissolution. Une arme terrible et à double tranchant. Le principal négociateur palestinien, Saëb Erekat, s’était d’ailleurs empressé de démentir le propos de ses collègues. Mais la question se posera, car l’aveuglement de la politique israélienne y conduit.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant