« La Chambre bleue », de Mathieu Amalric : Le sexe et l’effroi
La Chambre bleue , de Mathieu Amalric, un polar qui tente d’échapper aux contraintes du genre.
dans l’hebdo N° 1303 Acheter ce numéro
Après la légèreté et la fantaisie de Tournée (2010), Mathieu Amalric revient à quelque chose de beaucoup plus balisé, une adaptation de Simenon, la Chambre bleue, présenté dans la section Un certain regard à Cannes. Dans une bourgade de province, près de Poitiers, l’histoire d’un homme, Julien Gahyde, interprété par Mathieu Amalric lui-même, soupçonné par la justice d’avoir tué le mari de sa maîtresse, Esther (Stéphanie Cléau), puis sa propre femme, Delphine (Léa Drucker). Si adapter Georges Simenon est un classique, le film de Mathieu Amalric a des particularités intrigantes. L’une d’elles produit un sentiment d’étrangeté : l’impression de décalage entre le moment de l’écriture du roman (1964) et l’époque où se déroule l’action du film, c’est-à-dire de nos jours.
Tout ce qui concerne la puissance d’attraction érotique et sexuelle que représente Esther pour Julien est hors temps, parce que ce type d’attirance irrépressible est bien sûr universel. C’est d’ailleurs ce que le film réussit le mieux : comment l’esprit de Julien, même lorsque celui-ci subit l’interrogatoire du juge d’instruction (Laurent Poitrenaux), est toujours habité par le corps de sa maîtresse. En revanche, le scandale déclenché par ces « amants frénétiques », expression qui se retrouve en une du journal local – et qui était le titre initial du roman –, paraît en retrait, abstrait, anachronique. Sans doute parce que Mathieu Amalric n’a pas exploité la dimension sociale de l’univers simenonien, les habitants du bourg se réduisant à des silhouettes. Comme si le cinéaste avait voulu se dégager du réalisme, tout en y étant en permanence ramené par son intrigue adultérine.
Mathieu Amalric a aussi voulu retravailler la forme du flash-back, fréquente dans les histoires policières où l’on remonte le passé à partir des questions des enquêteurs. Parfois de façon trop appuyée, sa mise en scène, jouant beaucoup avec la musique et le montage, parvient cependant à montrer le terrible malaise dans lequel est plongé Julien Gahyde, qui dépasse la question de savoir s’il sera condamné – si tant est qu’il soit coupable. Mais provient de l’injonction qui lui est faite de reconstituer par les mots une cohérence à ce qui est avant tout un chaos de sensations violentes, délicieuses et muettes. D’où cette idée qui vient devant la Chambre bleue : voilà un film policier qui ouvre de belles perspectives là où il s’échappe des contraintes du film policier. Mais il reste trop sage, à cette aune, pour subvertir totalement son genre.
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