L’art contemporain repeint à l’humour belge

Surréaliste et vache, Brecht Vandenbroucke concentre ses tirs sur le « White Cube », cet accessoire convenu des expositions chics.

Marion Dumand  • 1 mai 2014 abonné·es

White Cube est une bande dessinée saturée de couleurs. Brecht Vandenbroucke mène ici sa première attaque contre le bon goût artistique et son symbole : le cube blanc. Cette expression anglophone désigne l’espace, blanc donc, qui accueille les œuvres dans les musées, les galeries. D’abord révolution contre l’accrochage « en tas », voire en tapisserie, des académies du XIXe siècle, l’épure est depuis devenue le cadre convenu, invisible, des expositions.

Entre-temps, le White Cube a été utilisé, observé, disséqué puis vertement critiqué par l’artiste et théoricien irlandais Brian O’Doherty. White Cube. L’espace de la galerie et de son idéologie réunit plusieurs des études qu’il lui a consacrées dès 1976 [^2]. Selon lui, la prétendue neutralité du lieu relève en fait « de la sacralité de l’église, du formalisme de la salle d’audience, de la mystique du laboratoire expérimental [qui] s’associe au design chic pour produire cette chose unique : une chambre d’esthétique ». Et « suppose un consensus, une communauté assurée de ses idées et de ses présupposés ». Un consensus, des clichés ? Attention, ça, c’est de la chair à canon pour humour belge. Du bon, du bien aiguisé, du tout surréaliste. Acerbes, muets, les jumeaux roses et amateurs sadiques d’art créés par Brecht Vandenbroucke écument musées institutionnels, magasins à la mode, galeries branchées, concerts expérimentaux. Ça fouraille sec et sanglant, à coup d’autodafé, de marteaux ou de tronçonneuses. Artistes, de profession ou du dimanche, commissaires d’expo, gardiens de musée, visiteurs, tout le monde en prend pour son grade, dans des planches serrées et des couleurs tranchées, à l’opacité acrylique. Parfois, Brecht Vandenbroucke prend le temps de poser dans des doubles pages des posters de scènes de rue ou de jungle, pleines de mille kitscheries, des caniches coiffés, à la limite étrange du mauvais goût, du déjà-vu et de la poésie, à la rencontre des influences, du Douanier Rousseau au Berlinois ATAK. Car Vandenbroucke est un initié, qui s’adresse à des initiés. Un monde d’initiés en colère qui veulent faire exploser le White Cube, inscrit dans une tradition de rébellion, à la suite d’un Marcel Broodthaers et de son « Musée d’Art moderne, département Aigle ».

Plus récemment, à partir des années 1980, le duo Herr Seele-Kamagurka illustre l’alliance de la BD « bête et méchante » avec la critique fort pertinente. Leur personnage, Cowboy Henk, pourrait d’ailleurs être le père des jumeaux tant leur esprit (et leur carnation) est proche. Tant aussi le White Cube règne encore. « Magnifique ! Superbe ! La blancheur des murs ! Ça vous renvoie à votre propre être ! Fort ! Très fort ! », s’écrie Cowboy Henk dans une pièce blanche du Musée d’Art moderne, à Paris. Quarante ans après, les jumeaux font eux aussi l’expérience de la visite du « vide ». Mais en silence et en regards complices. L’ironie peut maintenant se passer de mots.

[^2]: White Cube. L’espace de la galerie et de son idéologie, Brian O’Doherty, éd. JRP-Ringier, 2008.

Littérature
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