Le retour de la finance toxique !
Les activités à l’origine de la crise sont reparties de plus belle.
dans l’hebdo N° 1305 Acheter ce numéro
Les banques européennes ont fortement réduit leurs crédits aux entreprises au cours des dernières années, alors même qu’elles ont reçu d’abondantes liquidités de la Banque centrale européenne. Qu’ont fait les banques de ces ressources ? Elles en ont profité pour réorienter leur activité vers la finance de marché, au détriment du financement de la sphère productive. L’activité bancaire traditionnelle (distribution des crédits et gestion des dépôts) a fortement décliné au profit des opérations sur les marchés. Les banques se sont mises à émettre des obligations pour accroître leurs ressources. Elles se sont tournées vers un nouveau modèle, fondé sur la titrisation, consistant à vendre leurs crédits sous forme de titres et à transférer leurs risques aux acteurs financiers non bancaires, tels que les fonds spéculatifs. Les banques ont ainsi abandonné à des acteurs de marché peu régulés l’une de leurs fonctions principales, la gestion des risques. Elles sont devenues en quelque sorte des courtiers qui initient les crédits pour les transférer ensuite aux marchés.
Cette mutation a donné lieu à l’émergence d’un système bancaire parallèle, qualifié de « banque de l’ombre » [^2]. Celle-ci se compose d’acteurs financiers souvent opaques et peu contrôlés, à la différence du système bancaire classique. Y participent les banques d’investissement, les fonds spéculatifs, les fonds d’investissement, les fonds de pension, les sociétés d’assurance. Ces banques de l’ombre remplacent les banques traditionnelles. Échappant à la surveillance des autorités, la « banque de l’ombre » a été le principal rouage de la crise financière internationale. La logique aurait voulu que soit mis fin aux opérations qui ont failli entraîner l’effondrement du système financier international. Il n’en est rien ! Après une contraction en 2008, à la suite des frayeurs causées par la crise, les activités de la finance toxique ont redémarré de plus belle. Ainsi en est-il des opérations sur produits dérivés (notamment les fameux CDS, credit default swaps ) qui ont causé la faillite de Lehman Brothers et de l’assureur AIG en 2008. Ces opérations ont retrouvé en 2013 le niveau d’avant-crise et représentent dix fois le PIB mondial.
Autre sujet d’inquiétude : sous la pression du lobby financier, Michel Barnier, le commissaire européen chargé des Services financiers, a décidé en mars 2014 de soutenir le retour des techniques de titrisation, pourtant responsables du déclenchement de la crise des subprimes. L’objectif est de financer la reprise de l’économie européenne en panne, avec l’idée qu’il existe une « bonne » titrisation, mieux régulée. Et les banques ne se sont pas gênées ! La dernière innovation est le « placement privé » par lequel les investisseurs rachètent aux banques leurs portefeuilles de prêts. C’est ainsi que la Société générale a vendu à l’assureur AXA 80 % de ses prêts aux PME à plus de cinq ans.
Force est de conclure que les financiers et les autorités n’ont pas tiré les leçons de la crise. Les opérations qui en furent à l’origine – en particulier les produits dérivés, la titrisation, la banque de l’ombre – sont reparties de plus belle… jusqu’à la prochaine crise.
[^2]: « Shadow banking system ».
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.