L’islam entre adaptation et résistance
Les éditions Demopolis rééditent un ouvrage majeur de Maxime Rodinson. D’une brûlante actualité.
dans l’hebdo N° 1305 Acheter ce numéro
L’islam offre-t-il le cadre d’une résistance au capitalisme ? S’en accommode-t-il ? Façonne-t-il une forme particulière de capitalisme ? Voilà, entre autres, les questions auxquelles Maxime Rodinson répond dans un ouvrage majeur paru au Seuil en 1966. Le grand sociologue arabisant, disparu en 2004, aborde le sujet des rapports entre islam et capitalisme armé de son immense savoir et d’une solide grille de lecture marxiste qui le prémunit contre les essentialismes de toute sorte. Sa connaissance du Coran lui permet notamment d’en proposer une lecture rationnelle et de montrer que le livre sacré de l’Islam entretient un rapport étroit avec la Raison. Dans sa préface, Alain Gresh insiste sur cet aspect qui n’est pas indifférent au moment où l’islam est regardé comme la religion de tous les fanatismes. Mais revenons à nos trois questions. Oui, l’islam peut représenter un idéal de résistance aux excès du capitalisme, mais sans aller toutefois jusqu’à remettre en cause l’un des fondements du système, la propriété privée. Les lectures les plus mystiques ont même pu voir dans la dénonciation de « la vanité, la fragilité, la duperie des choses de ce monde » (nous citons Rodinson) une invitation à la critique du capitalisme.
Une résistance qui est peut-être surtout un rejet des influences occidentales car, comme le rappelle Rodinson, l’introduction du capitalisme dans les sociétés musulmanes est toujours d’origine exogène. C’est un apport extérieur auquel l’islam a été impuissant à résister, y compris face aux traits les plus inhumains du capitalisme comme le travail des enfants au début du XXe siècle, en Égypte. Des traits que les Occidentaux ont eu tôt fait d’attribuer à l’islam, oubliant que le capitalisme en pays musulman a été marqué par une autre réalité historique : le colonialisme. Celui-ci a eu une double influence. L’économie a d’abord été placée entre les mains d’intérêts étrangers. Puis, lorsque les jeunes nations indépendantes ont voulu s’émanciper, elles ont procédé par nationalisations, donnant naissance à un capitalisme d’État caractéristique de plusieurs pays arabes. Rodinson illustre son propos par des pages lumineuses sur le capitalisme en Égypte, de l’influence de l’impérialisme britannique à la révolution nationaliste de Nasser, en 1952. Il n’y a donc évidemment pas de « capitalisme musulman ». Aujourd’hui, on voit aussi bien des Frères musulmans à l’aise avec le néolibéralisme, que des islamistes qui, selon le mot de François Burgat, reformulent « dans un lexique endogène la vieille dynamique nationaliste ou anti-impérialiste ». La lecture matérialiste des rapports entre islam et capitalisme que nous proposait Rodinson, il y a près de cinquante ans, nous aide à comprendre le monde actuel.