Nouvelle-Calédonie : Un scrutin provincial décisif

L’élection de la dernière mandature de l’Accord de Nouméa se tiendra dimanche. Elle déterminera la composition des assemblées de province et du Congrès.

Mathurin Derel  • 8 mai 2014 abonné·es

«Kanaky 2014 ». Après avoir résonné dans une majorité de meetings ces dernières années, le slogan réclamant l’indépendance dès 2014 s’est quelque peu émoussé. Le discours indépendantiste s’est adouci. Ses leaders parlent désormais de « Nation arc-en-ciel » pour évoquer l’avenir calédonien. Une nouvelle version du destin commun emprunté à l’Afrique du Sud, régulièrement citée en exemple.

Signe d’un apaisement au sein du bloc indépendantiste, les différentes mouvances se sont regroupées autour d’une liste commune en province Sud, là où se concentrent les principaux enjeux du pays. Poumon économique, elle rassemble les trois quarts de la population et représente 32 des 54 sièges du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Pour le reste, les 22 sièges du Nord et les îles sont en quasi-totalité acquis à la cause indépendantiste. Sur ces deux provinces, les non-indépendantistes ont eu toutes les peines à obtenir 15 % des suffrages lors des cinq derniers scrutins provinciaux. Avec la liste commune Construisons notre Nation arc-en-ciel, tirée par Rock Wamytan, l’un des leaders de l’Union calédonienne (UC) et actuel président du Congrès, les indépendantistes espèrent obtenir une majorité à l’assemblée délibérante du territoire. Cinq sièges supplémentaires dans cette province suffiraient à faire basculer la première institution calédonienne. Une position clé dans la perspective du premier des trois référendums d’autodétermination, prévus par l’Accord de Nouméa [^2]. Une autodétermination qui peut être déclenchée par trois cinquièmes des élus du Congrès d’ici à 2018. L’unité est une nécessité, mais constitue un tour de force tant les composantes du Front indépendantiste divergent sur les plans idéologiques et économiques. L’alliance entre indépendantistes (Parti travailliste de Louis Kotra Uregueï et une partie de l’UC) et loyalistes (Rassemblement-UMP et Avenir ensemble) avait conduit à la chute du gouvernement de Philippe Gomès (Calédonie ensemble) en 2009, et distendu les rapports entre les partisans de l’indépendance. Il aura fallu de longues tractations pour trouver un terrain d’entente. Mais ce consensus parvient difficilement à dissimuler les luttes internes. En province Nord, la place de l’actuel président Paul Néaoutyine (Palika), architecte de l’usine du Nord (qui traite le nickel) avec l’homme d’affaires André Dang, est sérieusement menacée par Gilbert Tyuienon (UC), vice-président du gouvernement et maire de Canala. L’édile ambitieux pourrait réussir à prendre la tête de la province Nord et infléchir la stratégie nickel qui, jusqu’à présent, met la collectivité au centre des décisions. Face au Palika et à l’UC, les loyalistes, tout aussi divisés, ont peu de chances de faire davantage que les quatre sièges obtenus aux élections de 2009 dans le Nord.

L’éclatement indépendantiste est similaire dans les îles, où les enjeux sont moindres. L’UC, le Palika, le Parti travailliste et un mouvement formé par des dissidents de l’UC et du Parti travailliste affronteront l’unique liste loyaliste, portée par un Simon Loueckhote, ancien sénateur au faible potentiel électoral. C’est donc bien autour de la province Sud que se cristallisent les enjeux du scrutin. Sur la décolonisation et l’avenir institutionnel tout d’abord, car malgré des avancées notables, les déséquilibres sociaux entre Kanak et non-Kanak sont encore très profonds, notamment en matière d’accès à l’emploi et plus généralement d’intégration à l’économie. Un socle commun des valeurs kanak, adopté à la fin du mois d’avril par les autorités coutumières, réaffirme en contrepoint la volonté du peuple autochtone de peser dans la construction de la nation. Ce socle a l’ambition de servir de base à la rédaction de la future Constitution du pays.

L’événement fait écho à la venue d’une délégation du comité de décolonisation de l’ONU, en mars, quelques semaines avant les élections. Les émissaires avaient pour tâche d’évaluer l’avancée de l’Accord de Nouméa. Une visite mal vécue par les loyalistes, en pleine polémique sur le corps électoral. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a demandé la radiation de quelque 6 720 électeurs, s’appuyant sur l’interprétation du gel du corps électoral faite par la Cour de cassation. Celle-ci estime qu’il faut avoir été inscrit sur la liste générale de février 1998 pour pouvoir figurer sur la liste spéciale et donc voter aux provinciales. Ces radiations pourraient donner un avantage aux indépendantistes à l’occasion de l’épreuve de force du référendum et représentent une possibilité de recours en cas de mauvais score aux élections de dimanche. Les passes d’armes autour du corps électoral ont masqué temporairement les enjeux économiques et la fébrilité des loyalistes d’en perdre la mainmise. L’économie calédonienne est atone. Après la surchauffe générée par les grands investissements, tels que l’usine du Sud et du Nord, voire les Jeux du Pacifique, le pays risque la déroute sans les réformes structurelles volontaristes qui s’imposent. Seule une majorité progressiste forte pourrait bousculer l’immobilisme. La question de la stratégie « nickel » à l’échelle du pays et la réforme de la fiscalité doivent avancer.

[^2]: L’Accord de Nouméa, ratifié le 5 mai 1998, prévoit un vote d’autodétermination entre 2014 et 2018 qui décidera d’un éventuel transfert de compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie.

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