Olivier Bertrand : « Conserver l’intégrité de Libé »
Renfloué sur le plan financier, le quotidien n’en a pas pour autant fini avec les difficultés. Olivier Bertrand, élu syndical SUD, affirme que la rédaction restera vigilante face aux actionnaires.
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Le tribunal de commerce de Paris a donc accepté le plan de rachat et de renflouement de Libération, un plan présenté par Bruno Ledoux. L’homme d’affaires s’est engagé à apporter 18 millions d’euros au capital du journal d’ici à la fin juin (ce qui lui en donnerait le plein contrôle) et à lui prêter 4 millions d’euros en urgence. Cette homologation permet au journal de sortir de l’état de cessation de paiement et assure la pérennité de ses activités. Le tribunal a également accepté que Ledoux puisse constituer un tour de table avec d’autres investisseurs. Il a déjà sollicité, notamment, le milliardaire Patrick Drahi, patron du groupe Altice et de Numericable. Ses projets sont connus : il entend lancer une grande réforme du quotidien en s’appuyant sur « sa marque », autour d’un espace culturel et d’un réseau social, ce fameux « Flore du XXIe siècle ». Un projet contre lequel s’élèvent les salariés, qui perçoivent là une menace pour les valeurs du journal. François Moulias, président du directoire de Libé, et le nouveau directeur opérationnel, Pierre Fraidenraich, ont annoncé une « réorganisation », sans donner davantage de détails, sinon leur volonté « de nommer des dirigeants », d’investir « dans les relais de croissance » et de « retrouver une exploitation profitable ».
Quelle lecture faites-vous du plan accepté par le tribunal ?
Olivier Bertrand : Ce protocole comporte beaucoup d’imprécisions. Il est d’abord sécurisant de voir arriver 4 millions d’euros dans une période où il n’était pas certain qu’on puisse verser les salaires. D’autre part, on avance vers la recapitalisation, ce qui est toujours rassurant pour une entreprise. Mais nous restons vigilants sur l’origine de cette recapitalisation, sur le tour de table qu’est en train de négocier Bruno Ledoux. Il s’est engagé, mais quelqu’un peut toujours venir se substituer à lui, et on ne sait pas à quel moment on aura plus de visibilité sur cet investisseur. Or, on ne mène pas une entreprise telle que Libé comme on fabrique des fraises Tagada. Une assemblée générale doit se tenir d’ici au 30 mai, qui doit acter la recapitalisation, mais il est important de savoir qui a le contrôle, qui investit, quel est l’actionnariat principal dans un quotidien national.
Craignez-vous un plan social ?
Au tribunal, on a découvert qu’il était prévu un plan social concernant une cinquantaine de personnes. Comme le contrôle du journal va changer, de fait s’ouvrira une clause de cession. Du nombre de départs relevant de cette clause dépendra un plan social.
En attendant, rien n’a été dit sur le projet éditorial du journal…
Non, mais ce n’est pas illogique. Les actionnaires se gardent bien d’entrer là-dedans, répétant que l’éditorial ne les concerne pas et que l’indépendance entre la rédaction et les actionnaires demeurera – et la rédaction sera très vigilante sur cette indépendance. D’autre part, la direction cherche toujours son directeur de la rédaction, qui constituera un élément important de la ligne éditoriale.
Un déménagement est-il toujours envisagé ?
On n’en sait rien ! Quand on parle de déménagement, on ne sait plus de quoi il s’agit. Il y a à la fois ce projet de « Flore du XXIe siècle » – qui nécessite des travaux lourds pour recevoir du public, supposant un déménagement provisoire le temps des travaux – et un déménagement irrévocable. Tout reste flou. Mais, pour la majorité de la rédaction, le problème n’est pas de savoir si l’on travaille place de la République ou à La Plaine-Saint-Denis. Le souci est de conserver l’intégrité de Libération.
Le personnel est-il toujours autant mobilisé qu’en début d’année ?
Depuis le début de cette crise aiguë avec les actionnaires, les salariés sont mobilisés. Les assemblées générales réunissent toujours beaucoup de monde, elles restent dignes, avec des propos parfois éruptifs. Les questions demeurent à la hauteur du conflit, avec deux attentes. Celle de la recapitalisation et celle de l’indépendance, de la sauvegarde du titre. Pour beaucoup, il s’agit de se battre jusqu’à la fin, tant que l’argent n’est pas arrivé sur les comptes de Libération, de faire attention aux conditions de l’arrivée de ces 18 millions d’euros annoncés.