Politique de la peau de chagrin
Gel des crédits, coupes budgétaires, précarisation des intermittents : le secteur culturel souffre d’une vision économiste du gouvernement actuel.
dans l’hebdo N° 1301 Acheter ce numéro
« Comme le disait Baudelaire, “le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité, c’est la culture”. » Ces propos ont été prononcés par François Hollande au cours de sa campagne pour l’élection présidentielle, le 19 janvier 2012, à Nantes. Dans ce discours remarquable, puisque le seul de toute sa campagne consacré à la culture, les accents lyriques étaient comptés, si bien que cette citation du poète retint l’attention. Hélas, trois fois hélas, le vers n’était pas le bon. « Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage/Que nous puissions donner de notre dignité/Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge/Et vient mourir au bord de votre éternité ! », lit-on dans « Les Phares », extrait des Fleurs du mal. Cette bévue pourrait n’être que la conséquence d’un copié/collé trop prompt ; elle est emblématique de la place qu’occupe la culture dans le parcours et la politique de François Hollande.
Un unique discours et deux engagements – sur 60 – dans son programme (l’un, fourre-tout, sur « l’accès à la culture et la création artistique », l’autre concernant la question du numérique) ne font pas une vision présidentielle. L’homme se montre lui-même souvent maladroit sur le sujet. Exemple : à l’avant-première de l’ultime film d’Alain Resnais, Aimer, boire et chanter, il cumule devant un micro qui lui est tendu des approximations sur la filmographie du réalisateur défunt et de pauvres généralités sur le cinéma. François Hollande a-t-il compensé cette inappétence en désignant un ministre d’envergure, incontestable aux yeux des milieux culturels ? Aurélie Filippetti, confirmée à ce poste dans le gouvernement Valls, ne correspond pas exactement à ce profil. Si la ministre a conseillé le candidat Hollande sur les questions culturelles et s’est distinguée auparavant, en tant que députée, par ses prises de position contre Hadopi, son poids politique reste circonscrit et son aura dans le milieu de la culture discrète. Les socialistes n’ont toujours pas trouvé leur nouveau Jack Lang. N’y avait-il pas matière à créer du contraste avec l’univers culturel du pouvoir précédent, entre bon goût (Bigard), vintage (Mireille Mathieu) et épouse fine conseillère ? La tâche était aisée. Pourtant, sur le plan symbolique, là où la gauche autrefois se distinguait, le président Hollande ne convainc décidément pas. Ce ne sont pas ses plus récents propos qui risquent d’éblouir : « La culture n’est pas une dépense superflue », a-t-il déclaré le 4 avril, lors d’un forum européen au palais de Chaillot à Paris. Une « dépense », donc, qu’il justifie parce qu’elle est « une chance pour l’économie européenne, une source d’emploi et d’activité ». Cette forme de promotion de la culture a désormais le vent en poupe, à l’Élysée comme rue de Valois, depuis qu’une enquête conjointe de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, au début de cette année, a révélé que le secteur culturel au sens large (intégrant la presse et la publicité) a généré près de 58 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2011. C’est-à-dire 3 % du PIB total du pays cette année-là, 7 fois plus que le secteur automobile, comparaison maintes fois reprise. Mais cette valorisation de la culture sur le terrain économique rencontre un obstacle de taille : la politique même du gouvernement.
Celle-ci ne se borne sans doute pas à des chiffres, mais ce que représente en pourcentage le budget de la culture fait depuis longtemps figure de pierre de touche. Celui-ci « sera entièrement sanctuarisé durant le prochain quinquennat », avait affirmé François Hollande à Nantes. Juré, mais pas craché. Non seulement il ne l’a pas été, mais il s’éloigne toujours plus du fameux 1 % du budget global, pour se situer aujourd’hui autour de 0,7 %. La faute à la crise, aux déficits publics, aux économies à trouver – on connaît l’antienne. Qui plus est, comme l’a reconnu une ancienne ministre de la Culture, Catherine Tasca, « l’administration de Bercy, à l’égard du ministère de la Culture, a souvent l’œil soupçonneux. La culture est considérée sinon comme un luxe, du moins comme une dépense sur laquelle on peut rogner sans grands dommages » (France Culture, mai 2013). Résultat : le budget de la culture, après avoir diminué de 4,3 % en 2013, s’est vu amputé de 2 % en 2014. Pire encore : des craintes sérieuses portent sur les trois prochaines années. Une économie de 500 millions d’euros, selon le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndéac), serait envisagée – sachant que le budget annuel de la culture se situe aux alentours de 3,5 milliards –, le spectacle vivant et les arts plastiques étant souvent les premiers touchés. Aurélie Filippetti ne semble pas en souffrir outre mesure. Au contraire. « Le budget de la culture a été l’un des plus gros contributeurs à l’effort de réduction des dépenses publiques », s’est-elle félicitée, le 10 février, sur Radio Classique. Telle une bonne élève et contrairement à son « amie » Delphine Batho, dont les signes de mauvaise humeur face à son budget rogné lui avaient valu d’être immédiatement limogée. Ce même jour, le 10 février, avait justement lieu la première « Marche pour la culture » (une autre s’est déroulée le 12 mars, une prochaine est prévue le 17 mai). Unitaire, réunissant les syndicats des salariés du spectacle et les syndicats d’employeurs, pour dénoncer les coupes budgétaires et exprimer l’inquiétude du secteur sur la nouvelle étape de décentralisation ainsi que sur la renégociation du régime des intermittents. « Le secteur culturel est en proie à un sentiment anxiogène », confirme Alain Herzog, ex-directeur du Syndeac depuis quelques semaines. Il y a une rupture de confiance entre les politiques et le milieu artistique. » Les projets en cours concernant les collectivités locales, qui aujourd’hui assurent plus des deux tiers du financement de la culture, ne sont pas faits pour rassurer. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, adoptée en janvier, ainsi que le projet de loi de décentralisation qui sera bientôt présenté envisagent des délégations de compétences en matière culturelle. Ce qui pourrait remettre en cause le rôle des directions régionales des affaires culturelles (Drac) et, par là, la responsabilité de l’État, déjà en retrait, sur cette question. Or, « la culture a besoin d’être loin de la décision politique, souligne Alain Herzog, c’est un gage de sa liberté » .
Par ailleurs, les financements croisés entre différentes collectivités pourraient être limités. À deux par territoire, suggèrent par exemple Martin Malvy (PS) et Alain Lambert (UMP) dans leur rapport sur la réduction des dépenses publiques des collectivités locales, rendu le 16 avril à François Hollande. Enfin, comme pour l’État, la cure d’austérité exigée de ces collectivités risque de les rendre moins enclines à investir dans la culture. Les institutions, manifestations, associations ou compagnies déjà touchées par les baisses ou les suppressions de subventions publiques, mais aussi privées, ne se comptent plus. Déjà, certains festivals ont dû mettre la clé sous la porte. C’est le cas, à Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire), du festival des Orientales (danses et musiques), qui existait depuis vingt-cinq ans et qui ne connaîtra pas son édition 2014. Outre des sponsors tels que la Caisse des dépôts, Orange et Suez qui font désormais défaut, la Région a retiré 20 000 euros des 100 000 qu’elle versait auparavant, le conseil général de Maine-et-Loire 15 000 euros sur 45 000, et l’État 10 000 sur 10 000 (ce qui fait, eh oui !, 0 euro). Un cas d’école. La chute n’est pas toujours aussi spectaculaire. Ainsi, de gel des crédits en coupes budgétaires en passant par la précarisation des intermittents, les compagnies sont dans l’obligation de réduire leurs investissements, les lieux de moins programmer, les emplois, en conséquence, s’amenuisant. Et finalement, conclut Alain Herzog, « on est amené à prendre moins de risques artistiques ». Une culture dénuée d’art, c’est peut-être ce dont rêvent secrètement les politiques.