Un Parlement modifié à la marge
Malgré la poussée décisive des extrêmes droites et les progrès de la gauche radicale, les rapports de force se maintiennent entre la droite et le centre-gauche à Strasbourg.
dans l’hebdo N° 1305 Acheter ce numéro
Les élections européennes ne mobilisent toujours pas les Européens. L’abstention a cette fois-ci encore dépassé la barre des 50 % avec un taux de 57 %. C’est toujours mieux qu’en 2009 quand 59,37 % des citoyens européens n’étaient pas allés voter. C’est dans les pays d’Europe de l’Est que l’abstention a été massive. Avec un score de 87 %, la Slovaquie emporte la palme de l’incivisme, suivie par la République tchèque (80,5 %), la Slovénie (79 %) et la Pologne (77,3 %). À l’inverse, en Belgique et au Luxembourg, où le vote est obligatoire, seuls 10 % des électeurs ont joué les mauvais élèves. On enregistre cependant pour 2014 une hausse de la participation dans plusieurs pays. C’est le cas en Grèce (57 %, + 4,4 points) ou en Roumanie (32,2 %, + 4,5). Une progression que l’on retrouve également en Allemagne (48 %, + 4,7).
Plus que cette petite hausse de la participation, c’est la forte progression de l’extrême droite hostile à l’UE qui domine ces élections. Le FN de Marine Le Pen, qui pour la première fois de son histoire arrive en tête d’un scrutin national avec près de 25 % et 24 élus, en est la figure la plus marquante. Mais elle n’est pas la seule anti-européenne à sabrer le champagne. À la fête également, Nigel Farage, le leader de l’Ukip (United Kingdom Independance Party) obtient encore plus de voix : 27,5 % (23 élus) face aux travaillistes d’Ed Miliband (25,4 %) et aux conservateurs de David Cameron (23,9 %). Kristian Thulesen Dahl, du Parti populaire (DF) danois, termine aussi en tête au Danemark avec 26,6 % (4 élus) devant les sociaux-démocrates au pouvoir (19,1 %). En Autriche, le FPÖ, qui avait dû se séparer de sa tête de liste, Andreas Mölzer, pour cause de racisme, arrive troisième avec 21,4 % contre 12,7 % en 2009 et passe de 2 à 3 élus au Parlement européen. Dans la Hongrie voisine, le mouvement xénophobe et antisémite Jobbik de Gábor Vona se maintient avec 3 sièges derrière la coalition Fidesz-KDNP (droite conservatrice) au pouvoir, du très autoritaire Viktor Orban qui a remporté non moins de 51,49 % des voix. En Grèce, les néo-nazis d’Aube dorée se hissent à la troisième place (9,34 %) et décrochent 2 sièges. Surprise en revanche en Pologne, où un petit parti europhobe, Congrès de la nouvelle droite (KNP), rafle 4 sièges en obtenant 7,2 % des voix. Et en Allemagne, où grâce à un changement des règles électorales, le parti néo-nazi NPD (Parti national-démocrate) envoie l’un des siens à Strasbourg avec près de 1 %. Le seul véritable revers des europhobes est enregistré aux Pays-Bas : les Hollandais ont boudé le parti nationaliste et islamophobe de Geert Wilders (PVV) ; à 12,9 % il perd un de ses 5 sièges. Au total, les partis anti-européens décrochent une centaine de sièges. Pas assez pour empêcher la construction européenne, mais suffisamment pour se faire entendre et bousculer les partis traditionnels. La gauche radicale s’enfonce aussi dans la brèche. Forts d’un désaveu des partis au pouvoir et d’une politique européenne austère, les partis de la gauche radicale ont vu pour la plupart leur score augmenter. En Grèce, Syriza a confirmé son bon score du premier tour des élections locales de dimanche dernier. Le parti d’Alexis Tsipras, le candidat de la Gauche européenne, dont fait partie le Front de gauche, a remporté 26,6 % des voix, contre 22,7 % pour la droite de la Nouvelle Démocratie. En Irlande, le Sinn Fein réalise lui aussi une percée (17 %) mais reste derrière les libéraux démocrates (Fianna Fail) et les conservateurs (Fine Gael). En Espagne, Izquierda unida, une coalition des partis de gauche, perce à 9,99 % (5 élus), suivi de Podemos, un nouveau parti issu des Indignés (7,93 %, 4 élus), mais reste derrière les deux formations de gouvernement, le Parti populaire et le PSOE, qui perdent du terrain.
La forte progression des extrêmes droites anti-UE, et les avancéøes de la gauche radicale ne modifient pas fondamentalement les rapports de force au sein du Parlement européen. La droite européenne est en net recul. Le PPE de Jean-Claude Juncker perdrait 61 sièges selon les dernières estimations du Parlement [^2], mais avec 213 sièges il reste la première formation à Strasbourg. Devant le groupe des Socialistes et démocrates (S&D, centre gauche) de Martin Schulz, qui passerait de 196 à 190 députés. Suivi de l’ALDE, le groupe libéral de Guy Verhofstadt (64 députés), qui perd 19 sièges. Les Verts, avec 53 députés contre 57 auparavant, se maintiennent presque, tandis que le groupe de la Gauche unie européenne (GUE/NGL) avec 42 sièges en gagnerait 7. Moins que prévu. Si l’arrivée d’une centaine d’« eurosceptiques » souverainistes ou d’extrême droite très hostiles à l’UE risque d’animer les débats, elle a bien peu de chance d’influer sur les votes d’un Parlement où les majorités se construisent autour du PPE et du S&D qui savent s’entendre et restent, à eux deux, majoritaires.
[^2]: La composition des groupes parlementaires ne sera en effet véritablement connue que lorsque tous les eurodéputés auront fait leur demande de rattachement.