Un scrutin difficile
Du 22 au 25 mai, 380 millions d’électeurs sont appelés à élire 751 députés européens. Une élection qui devrait chambouler l’équilibre politique du Parlement européen.
dans l’hebdo N° 1304 Acheter ce numéro
Voter ou pas ? Voter, pourquoi ? Ces questions sont assurément celles que se posent le plus les électeurs. À la veille du scrutin européen, ils sont nombreux en effet à avouer leur perplexité devant un scrutin qui leur paraît très éloigné de leurs préoccupations quotidiennes – « Cela ne changera rien pour nous » –, qui est perçu comme compliqué du fait d’un trop grand nombre de listes et de candidats pour la plupart totalement inconnus. Et dont ils disent ignorer à quoi il sert.
À cette incompréhension qui affecte une participation électorale en déclin constant depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, s’ajoute la tentation d’une abstention sanction. À gauche, plusieurs petits partis, dont le MRC, ont lancé des appels en ce sens afin de « ne pas légitimer une Europe qui ne le mérite pas ». S’ils imaginaient qu’un nouveau record d’abstention serait perçu comme un désaveu de la construction européenne actuelle, ou de ses politiques, une récente déclaration de Jean-Claude Juncker, figure représentative des élites dirigeantes européennes, devrait les déciller : « Le projet européen et son succès ne se mesurent pas à l’aune du taux de participation », a déclaré l’ancien président de l’Eurogroupe, qui a également rappelé qu’une participation électorale de moins de 50 % des Américains aux élections présidentielles ne trouble nullement la marche des États-Unis. Pas dérangeante, l’abstention est même encouragée à demi-mot par Herman Van Rompuy. « Les citoyens comprennent très clairement la différence entre le Parlement européen et ceux qui prennent les vraies décisions », a déclaré, dans un entretien au Süddeutsche Zeitung, le président du Conseil. Il commentait le faible taux de participation électorale. Donc voter, oui. Mais pourquoi ? Pour « choisir qui gouvernera l’Europe », prétend une campagne publicitaire un brin mensongère du Parlement européen. L’enjeu serait de désigner le futur président de la Commission européenne, assurent en chœur les trois principaux partis européens qui se partagent l’essentiel des sièges à Strasbourg, le Parti populaire européen (PPE, droite), le Parti socialiste européen (PSE, centre gauche) et l’Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe (ALDE, centre droit).
Pour réclamer que le futur président de la Commission soit issu de leurs rangs, ils se fondent sur un bout de phrase, introduit dans le traité de l’Union européenne par le traité de Lisbonne, qui stipule que le Conseil européen (composé des chefs d’État et de gouvernement) propose un candidat à la présidence de la Commission, « en tenant compte du résultat des élections au Parlement européen ». Mais leur interprétation extensive de cet ajout est loin d’être partagée par les chefs d’État et de gouvernement qui, eux, conservent la faculté de choisir qui bon leur semble. À charge ensuite pour le Parlement d’approuver ou de rejeter ce choix. Jusqu’ici, il l’a toujours entériné : en 2009, José Manuel Barroso, pourtant critiqué de toute part, a été réinvesti à son poste, y compris par des députés du PSE.
Les débats organisés autour de l’enjeu, largement fictif, de la présidence de la Commission ont toutefois permis d’entrevoir la possibilité que le Parlement européen devienne une assemblée plus politique. Si peu de choses distinguent Jean-Claude Juncker (PPE), Martin Schulz (PSE) et Guy Verhofstadt (ALDE), formatés par des années de cogestion, la candidate des Verts, l’Allemande Ska Keller (présentée en binôme avec José Bové), et le candidat de la gauche, le Grec Alexis Tsipras, ont fait entendre d’autres discours capables, à des degrés inégaux, de rompre avec le consensus libéral qui anesthésie le Parlement. Consensus qui a conduit par exemple une majorité des eurodéputés à soutenir la perspective de fondre l’Europe dans un grand marché transatlantique. La fin de ce consensus dépendra du résultat qui sortira des urnes. Pour l’heure, les projections des sondages européens annonce un chamboulement de l’équilibre politique du Parlement (751 députés), sous l’effet de la poussée de la droite anti-européenne et de l’extrême droite, qui pourrait gagner une centaine de sièges, mais aussi de la gauche. Le PPE (275 sièges actuellement) et les socialistes européens (194 sièges) pourraient se retrouver au coude à coude autour de 210 sièges chacun, loin de la majorité absolue (376) ; l’ALDE (85 sièges) et les Verts (58 sièges) devraient perdre chacun une vingtaine de sièges, tandis que la Gauche unie européenne (GUE) en gagnerait autant.