Une vie contre les fascismes
L’historien israélien Zeev Sternhell revient sur son parcours dans un livre d’entretiens.
dans l’hebdo N° 1304 Acheter ce numéro
Historien francophone israélien, spécialiste de la France, des origines du fascisme, de la crise des Lumières et d’Israël, Zeev Sternhell a largement renouvelé l’histoire des idées, en particulier de la droite française. Même si, pour un certain nombre d’historiens (comme Enzo Traverso), l’histoire des idées est considérée comme une fraction un peu démodée de leur discipline.
L’apport de Sternhell résulte de sa remise en cause, dès les années 1960, des trois grandes familles de droite françaises qu’avait définies René Rémond en 1954 dans les Droites en France. Pour cet historien chrétien et mandarin de Sciences Po durant des décennies, la droite française ne peut être que légitimiste (contre-révolutionnaire), césarienne (du bonapartisme au gaullisme) ou bien orléaniste (regroupant les libéraux, d’Antoine Pinay à Giscard ou Balladur). Après une thèse à Sciences Po – dont le jury est présidé par René Rémond –, Zeev Sternhell publie un livre qui crée la controverse durant plusieurs décennies. Ni droite ni gauche montre qu’il y a eu un fascisme français qui s’est évidemment déchaîné sous l’Occupation, mais, plus encore, que le nationalisme ( « intégral » ) français, né avec Barrès et Maurras (avant Déat ou Doriot, puis l’OAS, voire Le Pen), constituerait l’acte de naissance de l’idéologie fasciste. Rompant là avec le mythe très répandu d’une prétendue « immunité française » au fascisme. Menés par Nicolas Weill, journaliste du Monde, ces entretiens avec Zeev Sternhell retracent la vie et le parcours intellectuel de l’historien. Et c’est ce parcours qui explique l’origine de son travail sur la droite radicale française, de la fin du XIXe siècle aux années 1930, pétrie d’antisémitisme, de détestation de la démocratie mais aussi de « déterminisme biologique ». Né en Pologne en 1935, enfant juif rescapé de la Shoah, arrivé en France à la Libération chez une tante avignonnaise, il a parfaitement conscience de l’antisémitisme qui règne en Europe et s’enthousiasme vite pour la création de l’État d’Israël, où il émigre à 16 ans, en 1951. Mais sa culture française le fait revenir étudier à Sciences Po dans les années 1960. Où, dans le climat réactionnaire de l’école, il entreprend de travailler sur Barrès.
Plus tard, Sternhell rattachera cette tradition de « la droite révolutionnaire » – titre d’un autre de ses livres [^2] – au courant des « anti-Lumières » qui n’ont cessé de combattre les droits de l’homme et l’héritage de la Révolution française. Sioniste de gauche, il participe aux guerres de 1967 et de 1973, mais ne cesse de critiquer la politique de colonisation d’Israël à partir de 1967, « le plus grand désastre de l’histoire du sionisme » selon lui, et le traitement réservé aux Palestiniens. Ce livre d’entretiens est aussi une leçon de vie.
[^2]: Voir notre entretien avec Zeev Sternhell au moment de la réédition de ce livre, dans Politis n° 1236, du 17 janvier 2013.
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