Arno : « L’art a besoin d’une révolte »
Après la parution d’un coffret revenant sur l’essentiel de sa carrière, Arno veut aborder des horizons musicaux inédits.
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Parce que ses chansons passent à la radio et que son phrasé tellement particulier nous est depuis longtemps familier (son premier album solo date de 1986), on croit connaître Arno. Mais, en réalité, « le chanteur de charme raté », comme il se décrit, n’est pas si facilement cernable. Essentiel, coffret récapitulatif de sa carrière, le prouve encore une fois. Arno dit en avoir seulement regardé les pochettes : « C’est assez pour se remémorer certains trucs. » S’il paraît plutôt dubitatif face à cette compilation, c’est qu’Arno songe d’abord à continuer d’avancer artistiquement.
Quel est votre regard sur cet Essentiel, rappelant votre parcours musical ?
Arno : Je trouve ça bizarre. Surtout que récemment, à Ostende, ma ville natale, à l’occasion de mes 65 ans, ils ont aussi organisé une exposition sur moi, avec des films, des photos et tout ce genre de bazar. Je n’y suis pas resté longtemps, parce que je trouve étrange et schizophrénique d’être confronté à son passé. Ensuite, quelle sera la prochaine étape ? On va ériger une statue de moi et les pigeons vont venir déféquer dessus ? Personnellement, quand j’ai fait un album, je ne l’écoute plus jamais après, je le donne aux gens qui l’adoptent ou ne l’adoptent pas. Je n’aime pas revenir sur les souvenirs, même si j’ai naguère traversé des périodes excitantes où le meilleur semblait toujours possible.
Vous parlez des années 1960 ?
1980 aussi… Mais durant les années 1960 et 1970, c’était la première fois dans l’histoire où les jeunes possédaient quelque chose qui n’appartenait vraiment qu’à eux. Ils avaient enfin leur propre musique, leurs propres vêtements. Maintenant, avec le recul, je pense que la minijupe a dû être un sacré choc pour la génération qui nous précédait. Pour les plus âgés surtout. Alors que pour nous cela n’avait rien d’outrageux ou de provocateur. Cela paraissait si normal, tellement naturel.
La période n’était-elle pas plus motivante que celle que nous traversons aujourd’hui ?
Je ne le crois pas, car je trouve que les changements qui s’opèrent aujourd’hui sont passionnants à observer. L’être humain, qui est ma source d’inspiration principale, continue de faire des choses qui m’intriguent et me donnent des idées. Il fabrique des guerres, des enfants, des conneries de toutes sortes comme toutes ces crises qu’il a entièrement créées… Il se passe les mêmes choses que pendant les années 1930, quand sont nés le dadaïsme et le surréalisme. Je pense d’ailleurs que l’art, comme le reste, a besoin d’une révolte. Comme cela s’est passé autrefois.
Les révoltes, artistiques ou autres, demeurent pourtant marginales…
On possède tous les éléments pour que ça bouge, mais effectivement trop peu de gens se réveillent. Ils se sont endormis dans un immense magasin où ils pensent pouvoir tout trouver, parce qu’il y a 25 000 yaourts, light ou pas light, alignés dans les rayons. Mais où, en vérité, il n’y a rien… Ou alors, ce qui est encore pire, quand ils descendent dans la rue, c’est pour s’attaquer au mariage gay ! Je trouve quand même bizarre qu’ils manifestent pour les plus mauvaises raisons possibles. Le conservatisme que ma génération avait en son temps contrecarré est à nouveau présent. Il s’élève maintenant aussi fièrement qu’une tour Eiffel. C’est quoi ce bazar ?
Dans les années 1960 et 1970, beaucoup de chanteurs se seraient publiquement opposés à cette régression.
La période n’est plus la même. À ce moment-là, le simple fait de jouer de la musique rock avait déjà valeur d’engagement. C’était à la fois notre propre truc à nous et notre manière de répondre à la société.
Avec TC Matic, votre premier groupe, vous clamiez que vous étiez heureux de vous sentir Européen. Vous écririez les mêmes paroles aujourd’hui ?
J’ai toujours aimé la solidarité, j’ai toujours aimé partager. D’ailleurs, dans le temps, je n’aurais jamais pensé fumer un joint tout seul, il fallait que je le partage. Aujourd’hui, je ne fume plus, je laisse ça à d’autres qui n’ont peut-être plus les mêmes motivations (rires)… Pour moi, l’Europe ça continue de symboliser la solidarité, quelque chose dont on a vraiment besoin face au retour des nationalismes de tout poil. En Belgique, la montée de l’Alliance néoflamande est, par exemple, excessivement dangereuse. Son chef, De Wever, est un copain de votre Le Pen. D’ailleurs, sur d’anciennes photos, plus jeune, il pose avec lui. Mais ce genre de personnage est aussi pour moi une formidable source d’inspiration. La moquerie, c’est bon pour mon esprit, bon pour mes états d’âme… Un chanteur de charme raté, ce que je suis dans le fond (sourire), ne doit pas trop se prendre au sérieux.
Votre carrière, par contre, n’a pas connu de véritables ratages. Vous n’avez jamais cessé d’enregistrer des disques et de donner des concerts.
J’ai eu de la chance et je continue d’en profiter. Beaucoup d’artistes qui ont débuté à peu près au même moment que moi n’en ont pas eu autant. Certains, parfois plus doués, ont échoué pour diverses raisons : la santé, la drogue…
La sortie de ce coffret récapitulatif annonce-t-elle une prochaine étape musicale ?
Mon prochain album sera totalement différent des autres. Tant au niveau musical qu’au niveau de ses textes. Mes enregistrements ont, jusque-là, été faits de façon impulsive et je l’ai parfois regretté. Mais avec celui-là, ça ne sera pas le cas. Car je réfléchis beaucoup à ce qu’il doit être. Je ne veux pas me répéter.
Vous avez l’impression de vous être déjà répété ?
J’ai surtout l’impression d’avoir tout essayé et tout fait. J’ai mis de la techno dans mes chansons, interprété du blues, du rock… Le coffret montre bien ces changements. Certains de mes disques sont parus sous le nom de Charles et les Lulu, d’autres sous ceux d’Arno & The Subrovnics ou de Charles & The White Trash European Blues Connection. Il y a aussi un Arno à la française… C’était toujours moi qui chantait, mais l’esprit de ce qui était joué n’était jamais le même. J’abordais ou mélangeais des genres de musique différents. Mais maintenant, je me dois – et je suis en train – d’inventer un nouvel Arno. Pour y parvenir, j’utilise quand même certains trucs venus du passé. Mais je tiens vraiment à faire une tout autre musique que celle que l’on connaît de moi.