« Avec les intermittents, le gouvernement s’affronte à un milieu qui lui était favorable »
Entretien avec Frédéric Hocquard, conseiller PS de Paris, qui fait partie des parlementaires et élus qui se prononcent contre l’accord du 22 mars concernant les intermittents et intérimaires.
dans l’hebdo N° 1308 Acheter ce numéro
Le 7 juin, Manuel Valls a nommé le député PS d’Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille à la tête d’une « mission de proposition » pour tenter de répondre, dans les quinze jours, aux intermittents du spectacle qui menacent de prolonger les annulations de spectacles et de festivals. En cause : l’accord signé le 22 mars à l’Unedic sur leur régime d’assurance chômage. Si ce texte était agréé par le ministre du Travail, François Rebsamen, à la fin du mois, il poursuivrait la précarisation de la profession à l’œuvre depuis 2003 (voir Politis du 15 janvier). Intermittents et personnalités de la culture tentent depuis plusieurs semaines d’en dissuader le ministre, mais aussi cent parlementaires et des élus parmi lesquels Martine Aubry, Jean-Christophe Cambadelis, Anne Hidalgo… Avec Fanélie Carrey-Conte, députée de Paris, Frédéric Hocquard, conseiller de Paris et ancien secrétaire national à la culture du PS, a publié une tribune en ce sens, le 27 mars. Depuis, il a quitté le secrétariat national du PS et s’alarme de la dispersion de la gauche.
La nomination de Jean-Patrick Gille comme médiateur représente-t-elle un espoir ou un coup de communication ?
Frédéric Hocquard : Jean-Patrick Gille a piloté en 2013 un rapport sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques. Il connaît bien le sujet des intermittents. Mais quelle est sa marge de manœuvre réelle ? Pour le gouvernement, il fait figure de dernière chance de trouver un accord avec les intermittents.
Cent parlementaires, dont une majorité de socialistes, se sont prononcés contre l’agrément de l’accord du 22 mars. Ce texte peut-il encore être bloqué ?
Il faut tout faire pour le différer le temps nécessaire à sa modification. Le problème, c’est que le Medef voudrait que l’État compense le manque à gagner. Ce qu’il va avoir du mal à faire… Les propositions formulées par les intermittents à travers le Comité de suivi permettraient de générer des économies tout en étant socialement juste : c’est le moment de les entendre.
Pourquoi l’agrément de cet accord serait-il, selon vos mots, « un bien mauvais signe » envoyé par un gouvernement de gauche au monde de la culture ?
Le conflit des intermittents du spectacle n’est qu’une pièce du Meccano : un des éléments de l’accord global que l’État a passé avec le Medef et l’Unedic. Le patronat voulait supprimer les annexes 8 et 10 de l’assurance chômage qui concernent les intermittents – techniciens et artistes. Il a accepté leur maintien à condition qu’elles génèrent en contrepartie 160 millions d’économies. Ce qui fait que, selon l’accord, 40 % des économies devraient être assurées par 3,5 % des ayants droit. C’est absurde. Et la culture sert, là encore, de variable d’ajustement des politiques publiques. Le conflit des intermittents est révélateur du manque total d’ambition de François Hollande dans le domaine culturel. « La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend plus indispensable. […] La culture, c’est l’avenir, c’est le redressement, c’est l’instrument de l’émancipation et le moyen de faire une société pour tous » , a-t-il déclaré en janvier 2012, pendant la campagne électorale, lors des biennales internationales du spectacle à Nantes. Quelques mois plus tard, au Festival d’Avignon, il a annoncé « un grand projet culturel » . Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Président ne croit pas à la dynamique sociale, politique et économique que représente la culture. Nous avons protégé l’exception culturelle au niveau européen mais nous sommes incapables de protéger ceux qui la fabriquent. C’est un vrai problème pour un gouvernement de gauche.
«Le gouvernement n’écoute plus»
La mobilisation des intermittents pourrait-elle faire imploser le PS ?
Notre gouvernement s’est refermé sur lui-même et ne semble plus savoir comment sortir de sa politique d’austérité. Il n’écoute plus et fonce. François Rebsamen semble vouloir aller à marche forcée vers l’agrément de la convention de l’Unedic. Il ne se rend pas compte qu’il a face à lui une très forte mobilisation qui va bien au-delà des rangs du monde culturel. Le mouvement des intermittents ajoute une urgence à la crise que traverse la gauche : il faut trouver le moyen de rassembler. Quelle ligne politique permettrait ce rassemblement ? Avec sa gestion du dossier des intermittents, le gouvernement s’affronte à un milieu qui lui était pourtant favorable.
L’idée du Medef n’est-elle pas, depuis 2003, de revenir sur le principe solidaire de l’assurance chômage ?
Le Medef voudrait ramener l’assurance chômage à un système où seule une infime minorité se verrait ouvrir des droits. Le système de l’intermittence du spectacle va à l’encontre de cette logique.
Le Syndeac a publié en février un rapport sur l’indemnisation chômage des intermittents et un régime alternatif. Quel est le poids de ce document ?
Ce document est fondamental. Contrairement à l’accord du 22 mars qui a été décidé par des partenaires qui semblaient peu au courant de la réalité des annexes 8 et 10, cette étude universitaire a été validée par de nombreux partenaires concernés : le Syndeac, la CGT, la Coordination des intermittents et précaires, des parlementaires qui siègent au Comité de suivi… Les intermittents, régime dont la préfiguration date du Front populaire, est un dossier assez technique. D’où l’importance de savoir un minimum de quoi il retourne. Cette étude propose notamment de revenir à une prise en compte de 507 heures sur 12 mois et de plafonner le cumul indemnités-salaires, mais aussi de rouvrir le plafond des heures d’actions artistiques aujourd’hui bloqué à 50 heures. Ce qui est contradictoire avec l’objectif de développer l’éducation artistique et culturelle. L’existence d’un régime d’intermittence agit de manière directe sur le dynamisme culturel de notre pays. C’est en partie parce que les chorégraphes ont pu bénéficier de ce droit dans les années 1970 que la danse contemporaine a connu un développement sans précédent.
Quelles sont les conséquences des annulations de spectacles et de festival ?
C’est catastrophique pour la culture, pour les spectateurs comme pour les artistes. Personne ne fait la grève par plaisir. À plus forte raison quand on travaille sur un spectacle à plusieurs depuis des mois. Olivier Py prépare son premier Festival d’Avignon avec une programmation alléchante. S’il reste encore une chance de sauver les festivals de l’été, c’est en trouvant une solution pour qu’il n’y ait pas de mauvais coup porté aux annexes 8 et 10.