BCE : De Charybde en Scylla
L’investissement est en panne, la consommation aussi.
dans l’hebdo N° 1307 Acheter ce numéro
Depuis sa création, la Banque centrale européenne (BCE) a pratiqué une politique monétaire rivée sur la défense de la rente financière par son objectif anti-inflationniste, contribuant ainsi à la financiarisation de l’économie et au gonflement de bulles spéculatives. Résultat : une crise majeure. Elle a appelé et soutenu tous les plans d’austérité. Résultat : la zone euro est au bord de la déflation. La purge infligée aux travailleurs est telle que les financiers, rassurés, continuent à acheter des titres de dette publique irlandaise, portugaise, italienne et grecque. Les taux d’intérêt nominaux sont bas, mais les taux réels sont bien rémunérateurs. Résultat : les capitaux affluent et font monter l’euro. La BCE a toujours fermé les yeux sur l’appréciation de l’euro, au prétexte qu’elle n’avait pas d’objectif de change à respecter. Résultat : cette appréciation diminue le prix des biens importés et participe à la baisse générale des prix, ce qui ne serait pas grave si nous n’étions pas en période de marasme économique.
La BCE avait baissé son taux directeur jusqu’à 0,25 % en novembre 2013 sans que cela ait la moindre influence sur les crédits accordés à l’économie par les banques. Pas plus que les 1 000 milliards prêtés à celles-ci il y a deux ans : c’est la situation dite de trappe à liquidités, qu’un taux de refinancement nul ne comblera pas. Le 5 juin, la BCE a fixé à 0,15 % son taux directeur et taxe les dépôts qui lui sont confiés par les banques ayant trop de liquidités en calant un taux négatif de – 0,10 %, afin de les inciter à développer davantage le crédit. Et elle va leur prêter 400 milliards sur 4 ans. Tout cela en cessant de stériliser en sens inverse les liquidités injectées. C’est le pari que les entreprises sont disposées à faire parce qu’elles entrevoient des débouchés pour leurs produits. Or, la demande d’investissement est en panne, et celle de consommation aussi : entreprises et ménages se désendettent plutôt. Le seul effet sera donc de faire enfler la Bourse.
La BCE sera-t-elle contrainte de racheter des titres financiers ? Ce serait au moment où son homologue aux États-Unis (Fed) y renonce. Rachètera-t-elle des titres publics pour desserrer la contrainte des marchés pesant sur les États ? Elle en a déjà racheté plus de 200 milliards sur le marché secondaire pour éponger les créances douteuses des banques, mais sans que soit posée la question des dettes publiques, largement illégitimes. On nous dit que la BCE a sauvé l’euro, mais les conditions de sa crise restent entières. La Fed s’apprête à relever son taux directeur, lequel attirera encore davantage les capitaux et fera remonter le dollar. Avec une baisse de l’euro en conséquence ? Pas sûr, car les politiques d’austérité dans la zone euro agissent dans l’autre sens, déprimant la demande intérieure et créant un excédent commercial. Le problème monétaire n’est donc pas aujourd’hui d’arbitrer entre taux d’inflation et taux de change. Il est de mettre fin aux politiques néolibérales d’austérité et de réformes structurelles, et d’ouvrir la voie à une transition sociale et écologique pour laquelle quantité d’investissements sont nécessaires. La condition sine qua non est de refonder radicalement le statut des banques centrales pour retrouver la maîtrise de la monnaie, que ce soit l’euro actuel (peu probable) ou une monnaie commune redimensionnée autour de certains pays [^2]. On comprend que le problème n’est pas d’abord économique mais politique.
[^2]: Voir « To be or not to be… dans l’Euroland ? », blog Alternatives économiques.
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