Brigitte Wieser (RESF) : « Valls fait comme Guéant »
À l’occasion des 10 ans du Réseau éducation sans frontières, Brigitte Wieser, l’une de ses militantes historiques, analyse le parcours de l’association à l’aune des évolutions politiques.
dans l’hebdo N° 1309 Acheter ce numéro
Cela fait maintenant dix ans que le Réseau éducation sans frontières (RESF), composé de collectifs, d’associations et de syndicats, se mobilise aussi bien pour empêcher l’expulsion des enfants que pour la régularisation des jeunes majeurs. Brigitte Wieser, militante historique, évoque ici l’évolution de RESF et sa déception à l’égard du gouvernement socialiste.
RESF fait figure d’exemple en matière d’auto-organisation de la société civile et de développement d’une expertise citoyenne. Pensez-vous que le réseau soit devenu un interlocuteur privilégié pour les droits des immigrés ?
Brigitte Wieser : RESF compte dans le paysage politique actuel. Alors que nous ne disposons ni de structure, ni de président, ni d’instance dirigeante, nous sommes régulièrement conviés à discuter avec le ministre de l’Intérieur. Nos luttes portent, notamment pour les familles et les jeunes, dont l’expulsion se fait de plus en plus rare. Quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, deux circulaires – dont les critères de régularisation étaient plus généreux que les anciens – ont interdit l’expulsion des parents et des jeunes majeurs scolarisés. Quand François Hollande est arrivé au pouvoir en 2012, nous avons pensé que les choses avanceraient encore. Par exemple, il avait promis pendant la campagne électorale qu’il n’y aurait plus jamais d’enfant en rétention. Or, la circulaire Valls du 6 juillet 2012 stipule que le placement en rétention sera évité seulement si la famille accepte de quitter le territoire. Certes, il n’y a plus qu’une vingtaine d’enfants en rétention, contre deux cents auparavant. Mais la promesse n’est pas totalement tenue. Une autre circulaire a changé les critères de régularisation, permettant ainsi de régulariser 9 000 sans-papiers, soit moins que ce qu’avait permis la circulaire Sarkozy.
Que pensez-vous de ces nouveaux critères de régularisation ?
Pour être régularisé, il faut être en France depuis plus de cinq ans et avoir des enfants scolarisés depuis plus de trois ans. Beaucoup de parents ne sont pas concernés, mais, s’ils ne sont pas expulsés entre-temps, ils finiront par obtenir leur régularisation. La situation est bien plus grave pour les jeunes majeurs. Auparavant, la loi ne prévoyait rien concernant les jeunes arrivés après 13 ans, nous parvenions donc à arracher leur régularisation. Maintenant, ceux qui sont arrivés avant 16 ans ne sont régularisés que s’ils vivent avec leur mère ou leur père, tandis que ceux qui sont arrivés après n’ont plus aucune chance d’être régularisés. Seuls 15 % des jeunes que nous suivons remplissent ces critères.
La suppression du délit de solidarité vous a-t-elle permis d’agir plus librement ?
Cela n’a pas eu grande influence, car l’État ne cherche pas à empêcher nos actions – même si le réseau est surveillé. De toute façon, la plupart du temps, nous voulons rendre nos actions visibles. Si nous décidons d’exposer le cas d’un sans-papiers, nous le faisons dans des lieux comme l’Assemblée nationale, la Fête de l’Humanité ou l’université d’été du PS à La Rochelle, pour préserver sa sécurité. Ce n’est pas le conflit qui nous intéresse, mais informer et convaincre l’opinion.
Le réseau est-il bien soutenu ?
Oui, notamment par les artistes et les personnalités du cinéma. Du côté des élus, il faut compter sur ceux qui sont dans des partis plus à gauche que le PS. Les élus PS sont dans une position schizophrène. Certains ne se reconnaissent pas dans la politique menée par le gouvernement, mais ils manquent de courage politique.
Les actions du réseau ont-elles changé depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir ?
Pourquoi changeraient-elles ? Manuel Valls mène la même politique que Claude Guéant. C’est peut-être un peu plus difficile de mobiliser aujourd’hui, parce que beaucoup parmi ceux qui ont voté Hollande nous ont dit qu’il fallait laisser du temps au nouveau gouvernement. Actuellement, ce sont les lycéens qui se mobilisent le plus.
La banalisation du discours du FN et des idées d’extrême droite a-t-elle des répercussions sur vos luttes ?
Quand un ministre socialiste tient des propos racistes sur les Roms, on se dit qu’il y a encore du travail ! On nous répète depuis vingt-cinq ans la fameuse phrase de Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », dont on oublie toujours la seconde partie : « Mais elle doit en prendre sa part. » Le nombre de sans-papiers n’est pas « massif » en France : ils sont entre 200 000 et 400 000, et ce chiffre reste stable. Même si on régularisait tout le monde, cela ne représenterait que 0,5 % de la population.