Cancer : La France malade du déni
Des chercheurs alertent sur l’épidémie de cancers hormonaux-dépendants, tandis que les pouvoirs publics font la sourde oreille.
dans l’hebdo N° 1309 Acheter ce numéro
La France détient un record des plus inquiétants : selon des données publiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle est le premier pays au monde pour les cancers hormono-dépendants (sein et prostate) et les cancers masculins, devant l’Australie, la Norvège et la Belgique [^2]. Le 17 juin, André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES) et chercheur à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), dressait un bilan chiffré de l’incidence, de la mortalité et de la prévalence des différents types de cancer pour 184 pays, et alertait sur la situation française
Ce « scandale invisible » devrait inciter le gouvernement français à prendre des dispositions particulières pour mener une politique de lutte contre le cancer et, plus largement, contre les maladies chroniques (diabète, obésité, maladies respiratoires…). Aujourd’hui, celles-ci sont la cause de 2 décès sur 3 dans le monde. En France, elles progressent 5 à 6 fois plus vite que la croissance démographique. Le cancer touche 1 homme sur 2 et 2 femmes sur 5, soit 1 000 personnes par jour. Les surcoûts générés, 400 milliards d’euros en quinze ans, font imploser le système de santé. Cette croissance des maladies chroniques « ne peut s’expliquer par les seuls facteurs classiques du vieillissement, du dépistage insuffisant et du mode de vie : notre environnement est en cause », avertit André Cicolella. Face à ces données scientifiquement prouvées, les pouvoirs publics font preuve d’une étonnante inertie. Le ministère de la Santé « reste trop souvent un ministère du soin et ne se préoccupe pas suffisamment de l’action sur les causes, déplore le toxicologue. Il faut un système de santé qui repose à la fois sur la prévention et l’origine de cet accroissement des maladies chroniques ». Déterminante, l’action sur la santé environnementale est cependant marginalisée par les politiques sanitaires. C’est pourtant dans notre environnement, un « cocktail empoisonné », selon Madeleine Madoré, présidente du Lien (association de défense des patients et des usagers de la santé), que se cachent les potentiels responsables de cette épidémie mondiale : les perturbateurs endocriniens (PE). Le coût sanitaire de l’exposition aux PE atteindrait 31 milliards d’euros dans l’Union européenne, d’après une étude de l’Alliance environnement santé publiée le 18 juin. En France, le coût des pathologies hormono-dépendantes approcherait les 82 millions par an. Qu’attendons-nous pour agir ? La ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, a présenté en avril une stratégie nationale contre les perturbateurs endocriniens (SNPE). Le 12 juin, elle a réuni autour de ses principes une coalition de six pays européens : Autriche, Suède, Danemark, Pologne, Belgique et France. Cependant, si Ségolène Royal prend son rôle au sérieux en matière environnementale, Marisol Touraine, ministre de la Santé, persiste pour sa part dans une forme de déni. Dans la future loi de santé qu’elle présentait le 19 juin, elle a annoncé un renforcement des mesures de prévention concernant l’alcool, le tabac ou la nutrition, mais rien n’a été prévu pour encourager la recherche qui permettrait de définir les véritables causes de cette crise sanitaire.
« Le gouvernement freine, notamment à cause des lobbies, comme on a pu le constater avec la polémique autour du bisphénol A », déplore André Cicolella. Et ce n’est pas la prochaine entrée en vigueur du traité transatlantique qui pourra empêcher l’apparition, l’aggravation ou l’extension des maladies chroniques. Déjà victime du laxisme gouvernemental, la santé sera la première affectée par la diminution des normes sanitaires.
[^2]: Voir le site Globocan, www-dep.iarc.fr/