Foucault ou l’inconfort
François Caillat consacre un riche documentaire au philosophe décédé il y a trente ans.
dans l’hebdo N° 1307 Acheter ce numéro
La caméra filme en surplomb la magnifique salle ovale de l’ancienne « BN » de la rue de Richelieu, à Paris, la Bibliothèque nationale d’avant son transfert dans l’immense complexe de la Bibliothèque François-Mitterrand, sur les bords de Seine. Des milliers de volumes courent le long des murs convexes. Nombre de ceux qui travaillèrent là durant les années 1970 se souviennent d’y avoir vu Michel Foucault (1926-1984) courbé sur une pile de documents extraits de ce haut lieu de conservation d’archives. On sait en effet que le travail du philosophe s’apparentait souvent, de prime abord, à celui d’un historien, d’où sa fréquentation assidue de la BN.
La salle sert de cadre – somptueux – à ce documentaire de François Caillat, conseillé par Édouard Louis, où interviennent plusieurs éminents spécialistes de la pensée foucaldienne, de Didier Éribon, biographe du philosophe, à Leo Bersani, professeur à Berkeley, Georges Didi-Huberman, historien de l’art, ou Geoffroy de Lagasnerie, jeune philosophe très foucaldien et éditeur. Chacune de leurs contributions aborde les nombreux objets travaillés par l’auteur de la Volonté de savoir : folie, prisons, sexualité… On y rencontre un Foucault qui fut à la fois militant radical et professeur au Collège de France, tant attiré par les marges (drogues, milieux gay et sadomasochiste…) que tenant une place centrale, quoique iconoclaste, dans le monde académique.
Cependant, comme l’indique François Caillat, ce riche documentaire est d’abord un « film sur la déprise », abordant Foucault comme un philosophe à la pensée jamais « installée », jamais certaine, jamais confortable. Ce que Geoffroy de Lagasnerie, devant une table recouverte des ouvrages de Foucault, souligne : « C’est une œuvre étonnante, car, produite en vingt ans à peine, elle est composée de styles, de rhétoriques, de sujets, de thèses, disséminés, éclatés, incohérents parfois. » Et le philosophe de poursuivre : « C’est un sentiment très frappant face à cette œuvre, marquée par l’idée d’une pensée qui se contredit elle-même, qui se reprend elle-même, et se constitue elle-même comme ce contre quoi on écrit de nouveaux livres. Foucault prend, comme point de départ de son nouveau livre, son précédent. On pourrait presque dire qu’il dialogue sans cesse avec lui-même, mais aussi qu’il écrit en permanence contre lui-même. » « Contre lui-même » : l’expression retenue en titre aurait plu à Foucault, alors que l’on commémore les trente ans de sa mort, car traduisant bien son interrogation incessante sur sa propre démarche, sur sa réflexion, sa propre écriture.