La violence et l’intime

À Vendôme, la Xe édition des Promenades photographiques est marquée par un œil féminin.

Jean-Claude Renard  • 26 juin 2014 abonné·es

ÀVive Zene, en Bosnie-Herzégovine, dans un centre de thérapie pour réfugiées bosniaques musulmanes, déplacées de Srebrenica à Tuzla, ou encore dans un camp, en 1996. Les visages de ces femmes ne dissimulent rien des faillites intimes, tandis que les mouflets vaquent à leurs jeux. Auparavant, en 1994, quelques Palestiniennes se laissent aller aux plaisirs de la plage de Gaza, d’autres jouent au basket, d’autres encore manifestent pour la libération de prisonniers en Israël. Plus tard, une équipe féminine de football pose devant l’objectif, à Téhéran, tandis que deux générations d’Algériennes s’enlacent, à côté d’une lycéenne iranienne exultant à la sortie du lycée, d’une Touareg dansant à l’occasion d’un mariage à Tamanrasset.

« Sisters, femmes musulmanes dans le monde », reportage de Nadia Benchallal, entend englober la diversité des cultures et des traditions, au-delà des stéréotypes. La photographe fixe des instants heureux, d’autres difficiles, parfois anodins. Tous font récit. Un autre pays, ** une autre situation : sur une bâtisse abandonnée, en bordure de chemin de fer, ce graffiti : « Africa puttana ». Il vise ces femmes nigérianes débarquées en Italie, contraintes à se prostituer. Entre 2006 et 2013, Elena Perlino a suivi certaines d’entre elles entre Turin, Rome, Naples et Palerme. Elles exercent sous l’autorité d’une « maman », chargée de les nourrir et de les habiller. Leurs revenus iront gonfler les caisses de la mafia nigériane. Exploitées, soumises, ces femmes vivent dans la crainte d’un contrat scellé par une sorte de rite vaudou, avant leur départ, qui les maintient dans la hantise de ce qui pourrait arriver à leur famille si elles venaient à faillir à leur tâche. Perlino ne s’est pas contentée de les suivre dans la prostitution. Elle prolonge son regard en s’arrêtant sur leur quotidien : un mafé partagé sur le trottoir, l’assistance sanitaire, les contrôles de police, les conditions d’un centre d’identification et d’expulsion… Elena Perlino alterne plans larges et rapprochés, additionne les images saturées de couleurs acidulées, violentes, au diapason des existences morflées. Pour cette dixième édition, constituée de vingt expositions à travers différents lieux de la ville, les « Promenades photographiques » de Vendôme ont pris des accents féminins (avec au programme douze femmes photographes). En témoigne notamment le travail de Claude Batho, empli du temps qui passe, sur les enfants, les gens, les choses, rendant sensibles « des instants très simples », semblant retenir les silences.

Un tas de linge sur le rebord d’une baignoire, des pommes de terre dans le fond d’un évier, une môme au bain, une balançoire dans un jardin luttant avec la brume. Soit une photographie intimiste, en noir et blanc, gouvernée par l’intuition, attachée à la poésie discrète des objets, sans effets de manche, ni dans le cadrage ni dans la lumière. Ces rencontres proposent ainsi autant d’expositions qui racontent le monde, livrent un univers intérieur. Avec autant de femmes qui parlent d’elles, des autres femmes, de leur combat, de leurs conditions de vie, de leurs interrogations, de leurs fragilités. Dans une multitude d’approches et le tumulte du monde.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes