« le Procès de Viviane Amsalem », de Ronit et Shlomi Elkabetz : Divorce à l’israélienne
Dans le Procès de Viviane Amsalem , Ronit et Shlomi Elkabetz abordent un sujet lourd sans pathos mais avec une grande intensité d’émotion.
dans l’hebdo N° 1309 Acheter ce numéro
Plus un sujet est lourd et grave, plus il exige de la part du cinéaste qui s’en empare de faire des choix esthétiques forts. Le Procès de Viviane Amsalem, le troisième film de Ronit et Shlomi Elkabetz, formant un triptyque avec les deux précédents que les frère et sœur réalisateurs ont signés, Prendre femme (2004) et les Sept Jours (2008), en apporte une nouvelle preuve.
Viviane Amsalem (Ronit Elkabetz), qui ne vit plus au domicile conjugal, a demandé le divorce. Or, en Israël, le mariage civil n’existe pas : le divorce ne peut être prononcé que par des rabbins, à condition que le mari, ici Elisha (Simon Abkarian), en donne l’autorisation. Il est aisé d’imaginer ce que cette situation juridique peut entraîner d’humiliation et de souffrance. Voilà donc le type même de sujet sociétal douloureux, qui peut à lui seul écraser un film sous son pathos. Ou encourager le cinéaste à illustrer la question « sous tous ses aspects », comme le faisait jadis André Cayatte, honnête artisan d’œuvres didactiques, fort utiles pour engager un débat non cinéphilique mais de société, un genre qui n’a pas disparu des écrans. Le Procès de Viviane Amsalem est un film passionnant malgré, si l’on peut dire, son sujet. La principale raison en est que Ronit et Shlomi Elkabetz ont choisi d’en faire un huis clos. L’action se déroule exclusivement dans l’enceinte du tribunal rabbinique. Dans la salle d’audience – aux murs blancs, dénuée de tout accessoire, hormis des chaises et des tables –, plus rarement dans la salle d’attente. Les cinéastes ont également pris le parti de filmer les personnages du point de vue de l’un d’entre eux. Autrement dit, il n’y a jamais de plan « neutre » ; le cadre, et par conséquent le hors-champ, est toujours déterminé par l’un des protagonistes : le rabbin président de la cour, ses deux assesseurs et le greffier d’un côté, Viviane et son avocat, Elisha et son défenseur (son frère aîné) de l’autre, tandis que les témoins se tiennent au centre.
Sur cette scène qui emprunte au théâtre, se concentrent toutes les formes de confrontation. La parole, grosse de pièges, y est souvent brutale, cruelle, parfois comique. Les regards alternent entre la détresse et la colère. Tandis qu’aux gestes d’impatience ou d’imploration de Viviane répondent le calme et le silence d’Elisha, maître du temps, qu’il fait traîner à l’envi, chaque nouvelle séquence commençant par un carton indiquant « 3 mois » ou « 5 mois plus tard », le procès durant ainsi plus de cinq ans. Bien sûr, règne dans cette salle aux enjeux cruciaux un machisme exacerbé. Le président du tribunal est enclin à favoriser le mari ou à réprimer Viviane quand, par exemple, elle libère ses cheveux – alors qu’elle prend soin de comparaître en noir, sauf une fois où elle porte une robe rouge. Un frère de Viviane, appelé par elle pour témoigner en sa faveur, finit par se retourner contre elle. Et l’avocat de Viviane en vient à être soupçonné par le frère d’Elisha d’éprouver un sentiment amoureux envers sa cliente – ce qui, aux yeux du spectateur n’est pas répréhensible (et même compréhensible, car celle-ci est aussi touchante que splendide), alors que c’est condamnable pour les rabbins. Reste qu’Elisha n’est pas désigné comme un monstre. Là réside un autre atout du film. Les cinéastes ne sont pas dupes de sa situation de domination, mais ils ne dédaignent pas ses faiblesses, ses sentiments, et même son amour pour sa femme. D’où un film d’une richesse d’émotion particulière. Le Procès de Viviane Amsalem oscille entre comédie familiale et tragédie de mœurs avec une intensité extraordinaire, rehaussée par deux comédiens hors pair, Ronit Elkabetz et Simon Abkarian.
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