Les cent jours d’Éric Piolle

Après des premières mesures symboliques, la nouvelle municipalité grenobloise, alliant EELV, Parti de gauche et citoyens, entre dans le vif du sujet. Avec d’importantes décisions sur le budget et l’urbanisme.

Patrick Piro  • 26 juin 2014 abonné·es
Les cent jours d’Éric Piolle
© Photo : Patrick Piro

« On s’est quittés le 28 mars avec des seaux de colle et des affiches. Deux jours plus tard, nous accédions à la charge des affaires de la ville », raconte Alain Denoyelle, l’air songeur. Il est encore sous le coup du vertige de la victoire, le 30 mars, de la liste menée par l’écologiste Éric Piolle à la tête d’une coalition entre EELV, le Parti de gauche, l’Association démocratie écologie solidarité (Ades) et le mouvement Réseau citoyen. La nuit tombe sur la terrasse du café. Le nouvel adjoint à l’action sociale s’excuse de n’avoir pu se libérer plus tôt. Il se coltine, pour son premier engagement politique, l’énorme centre communal d’action sociale (CCAS) de Grenoble – 1 400 agents, plus de 60 millions d’euros de budget. « Est-ce la fonction ou le désir de s’impliquer à tous les niveaux ? Nous intervenons sur la politique, le terrain, les institutions. Il faut intégrer tous ces niveaux de complexité, tout en conservant du temps pour la réflexion. » Alain Denoyelle veut passer à mi-temps à l’école d’ingénieur où il enseigne. Il n’est pas le seul à envisager de réduire la voilure professionnelle. C’est le cas de Kheira Capdepon, adjointe aux personnes âgées et à la politique intergénérationnelle, employée d’une cantine scolaire de la ville. Retraité, Sadok Bouzaiene n’a pas ce problème. Adjoint aux sports, il a repris un secteur tenu auparavant par trois personnes, dit-il, et y consacre 15 heures par jour. « Ça fait longtemps que je n’ai pas dîné avec ma femme. Mais tout va bien ! »

Certains s’inquiètent un peu de cet enthousiasme parfois proche de la surchauffe. Le nouveau maire ne s’en alarme pas. « Les deux tiers de nos élus n’ont jamais eu de mandat politique, ils ont beaucoup à apprendre. Ça va se tasser à la rentrée. » Conséquence du refus du socialiste Jérôme Safar de fusionner au second tour [^2], 41 des colistiers d’Éric Piolle ont intégré le conseil municipal (71 % des places), un raz-de-marée qui en a pris une bonne moitié au dépourvu. L’opposition, socialistes compris, ne se prive pas d’en rajouter sur leur « amateurisme ». Adjoint aux solidarités internationales, Bernard Macret bondit : « Où est l’incompétence, quand on voit l’ardoise laissée par l’équipe de l’ancien maire, Michel Destot ? » Après les premières mesures symboliques – baisse des indemnités des élus, diffusion des conseils municipaux sur Internet, abandon du projet de nouveau stade pour le rugby (voir p. suivante) –, la municipalité Piolle, qui achève ses « cent jours », entre désormais dans le dur. Au menu du conseil municipal du 30 juin, le correctif budgétaire. Le déficit hérité, de près de 14 millions d’euros, sera couvert par l’emprunt bancaire. « Nous sommes dans la phase de mise à plat et de réparation, commente Élisa Martin, première adjointe chargée des parcours éducatifs et de la tranquillité publique. Dans le domaine de l’urbanisme, notamment, c’est stop à un certain nombre de projets engagés. »

Autre gros morceau : la modification du plan local d’urbanisme (PLU). En première ligne, l’Esplanade, quartier historique qui devait être livré à des tours de 30 mètres de haut. Ce projet spéculatif a été cassé en décembre dernier par le tribunal pour défaut de conformité, après la guérilla judiciaire menée par des citoyens dont certains se sont engagés dans la campagne municipale. La nouvelle équipe défend un dessein radicalement différent : l’Esplanade doit devenir un espace pour l’accueil du public et de spectacles. Elle sera donc classée « non constructible ». À l’échelle du territoire, la modification du PLU introduira, pour les nouveaux bâtiments municipaux, une exigence de performance thermique supérieure de 20 % à la norme en vigueur. Les hauteurs seront limitées en moyenne à sept étages, et les antennes-relais de téléphonie mobile interdites dans un périmètre de 100 mètres autour des crèches, écoles, maison de retraite ou hôpitaux. « Il faut restaurer un rapport de force avec les grands opérateurs urbains, commente un cadre des services. Ils ont pris de mauvaises habitudes avec la municipalité précédente, où le privé était aux commandes. » L’urbanisme, terrain d’enjeux lourds. Le maire reçoit l’association Un toit pour tous, venue défendre sa stratégie en faveur du logement social. « Construire ! Densifier ! La ville attire, il faut accueillir de nouveaux habitants », explique Michel Delafosse, président de l’association. À l’opposé de l’analyse d’Éric Piolle : « Sept mille logements de plus ces dernières années, et la population reste stable. Et il faudrait accélérer ce mouvement, qui ne répond pas au besoin d’accessibilité des plus modestes et profite aux grands groupes de BTP ? » L’association a soutenu Jérôme Safar, le maire n’entend pas en faire cas. « Nous partageons vos ambitions, soyons pragmatiques, travaillons à des solutions cohérentes. »

Jean-Claude Gallotta, figure nationale de la danse contemporaine et hôte de la Maison de la culture de Grenoble (MC2), était aussi dans le camp d’en face. Le chorégraphe cherche l’appui de la ville pour installer un pôle danse permanent et développer des projets sociaux « à haut contenu artistique » auprès des jeunes de cités. Le maire rappelle sa philosophie : pas de décisions d’en haut, il faut consulter. « Nous souhaitons une grande perméabilité de la MC2 avec tous les acteurs, professionnels ou non. » L’artiste salue « M. le maire – ou comment dit-on ? » Sourire. « Comme on veut, je n’ai aucune culture protocolaire ! » Le look du maire, qui ne porte jamais de cravate et circule seul à vélo dans la ville, a offusqué Michèle Josserand, ancienne déléguée à la mémoire sous Destot, lors des commémorations du 8 Mai : « Chaussures non cirées, jean, chemise ouverte, veste froissée. » Réponse du cabinet : il y avait ce jour-là plus d’adjoints qu’il n’y en a jamais eu, n’est-ce pas une vraie marque d’attention aux anciens combattants ? Le style Piolle, c’est aussi de ne pas rencontrer que des « huiles », glisse un cadre des services, alors que le maire reçoit trois lycéens états-uniens, « ambassadeurs » de la ville de Phoenix avec laquelle Grenoble est jumelé. « Le choix de nos représentations traduit la volonté de valoriser la diversité des compétences dans cette ville où la préférence donnée à la haute technologie a étouffé de nombreux projets. » L’après-midi, Éric Piolle inaugure dans les quartiers sud – les plus populaires – un petit immeuble de six logements en habitat participatif, porté par Isère Habitat, une société coopérative œuvrant pour l’accession à la propriété à bas prix. Les festivités de l’été porteront la marque nouvelle : pique-nique populaire en lieu et place de la traditionnelle garden-party du 14 Juillet, retour du festival « Rocktambule », lancement d’une consultation pour créer une fête des Tuiles [^3], événements gratuits « conçus dans un esprit citoyen et écolo », précise Olivier Bertrand, délégué aux animations.

Opposition politique laminée, lobbies économiques dans l’attente, l’équipe Piolle travaille pour l’instant dans une relative tranquillité. D’autant que la majorité municipale vit plutôt bien. En attestent ses composantes : les 42 élus se réunissent et débattent sans distinction d’appartenance, et le Rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes, qui a mené la campagne collective, continue de mener son existence à l’extérieur, en dépit de l’importante ponction opérée sur ses cadres par les fonctions municipales. Mais la pression pourrait rapidement se manifester. « Les attentes des gens sont très importantes, et ils ne voient pas encore leur vie changer. L’impatience s’exprime déjà », signale Alain Dontaine, responsable local du Parti de gauche, qui recueille les messages adressés au Rassemblement. Aiguillon aussi vigilant que l’Ades, qui laboure le terreau citoyen de Grenoble depuis trois décennies. Raymond Avrillier et Vincent Comparat, ses deux principaux animateurs, mettent en garde les élus contre le confort de leur large majorité. « Attention à ne pas devenir à votre tour des roitelets ! »

Lire > Éric Piolle : « Une ville modèle de la transition »

[^2]: Voir Politis n° 1297, du 3 avril 2014.

[^3]: En référence à la journée des Tuiles, émeute grenobloise du 7 juin 1788, un des événements annonciateurs de la Révolution française.

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