Les centrales explosent les coûts
Un rapport parlementaire montre une croissance accélérée de la facture nucléaire.
Il est urgent que l’État cesse de se laisser dicter sa politique par EDF.
dans l’hebdo N° 1306 Acheter ce numéro
Grosse alerte, déclenchée la semaine dernière par la Cour des comptes : en trois ans, les coûts de production de l’électricité nucléaire ont bondi de plus de 20 %, passant d’environ 50 à 60 euros le mégawattheure (MWh). Le rapport était remis à la commission d’enquête parlementaire chargée d’évaluer l’ensemble des coûts de la filière, dont les conclusions sont attendues ce 5 juin. « La hausse n’est pas une surprise, mais je ne m’attendais pas à son ampleur ! », s’étonne le député Denis Baupin (EELV), rapporteur de la commission. Les montants provisionnés par EDF pour le démantèlement futur des réacteurs et la gestion des déchets augmentent d’environ 14 %. Cependant, l’explosion provient pour l’essentiel des travaux de mise à niveau réalisés sur les centrales vieillissantes – un bond de 117 %. Ces travaux ont été imposés pour moitié par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite de la catastrophe de Fukushima. L’autre moitié découle de la stratégie d’EDF, accrochée à l’ambition de prolonger la durée de vie de ses réacteurs au-delà de 40 ans [^2] : les investissements initiaux étant largement amortis, les centrales font miroiter de juteux revenus. C’est la pertinence économique de ce projet, baptisé « Grand Carénage » en interne, que viennent percuter ces nouvelles données. La Cour des comptes le chiffre à 110 milliards d’euros d’ici à 2033 – un « mur d’investissement », convient EDF, qui a promu pendant trois décennies l’électricité nucléaire comme « l’une des moins chères d’Europe ». Alors que l’éolien terrestre produit en Allemagne est à moins de 70 euros/MWh, en baisse constante tout comme le photovoltaïque, qui approche le seuil de compétitivité sur les sites les plus favorables, le coût du nucléaire va poursuivre son escalade. « À terme, avec les investissements massifs à réaliser sur le parc existant pour le prolonger, on approche des 100 euros/MWh », indique Yves Marignac, directeur de l’institut Wise-Paris, auteur d’un rapport sur le sujet. Et le réacteur de nouvelle génération EPR, dont le coût a presque triplé depuis le devis initial [^3], ne ferait pas mieux, au moins dans un premier temps.
« Mais, surtout, au-delà des coûts de production, quelle rentabilité pour la filière désormais ? », interroge Yves Marignac. Dans un parc européen plutôt excédentaire face à une demande stagnante, le prix d’achat tombe parfois sur le marché à 30 euros/MWh. Alors que la technologie nucléaire est conçue pour fonctionner en permanence à pleine puissance, « il faudrait que la demande se situe pendant 80 % du temps à un niveau de l’ordre de 60 euros/MWh… Ça devient de moins en moins réaliste ! ». Le PDG d’Areva le reconnaissait devant Denis Baupin : la rentabilité de la filière s’est lentement érodée. « Ce qui conforte l’analyse des écologistes : le nucléaire peut très difficilement être à la fois sûr et compétitif. Et comment estimer la facture finale pour des réacteurs que l’on entend faire fonctionner soixante ans, comme c’est le cas pour l’EPR, quand on voit le degré d’incertitude qui pèse sur les prospectives, comme le montre la dérive rapide des coûts d’exploitation ? » D’autant que d’autres factures sont sujettes à des réévaluations, dépassant les mises à jour fournies à la Cour des comptes par les opérateurs. Ainsi des provisions pour démantèlement futur des réacteurs. « En hausse, confirme le député. Les devis initiaux d’EDF, les moins élevés des pays nucléarisés, sont largement dépassés par les premières opérations en cours. La ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, va d’ailleurs demander un audit indépendant à ce sujet. » Et pour la gestion des déchets nucléaires, dont EDF et Areva estimaient le coût à 14 milliards d’euros, c’est un montant double qu’il faut désormais considérer. Quant au risque d’accident, « c’est l’État qui l’assure aujourd’hui gratuitement », expliquait Gilles-Pierre Lévy, président de chambre de la Cour des comptes, devant les élus. En effet, les cotisations des exploitants nucléaires sont dérisoires par rapport aux dégâts économiques potentiels. À Fukushima, la note approcherait les 300 milliards d’euros. In fine, insiste le rapporteur, l’État doit se donner les moyens de mieux évaluer les choix énergétiques, indépendamment d’EDF. Car un scénario « laisser-faire » reviendrait à laisser l’électricien engager son « Grand Carénage » jusqu’à un niveau d’investissement où l’ASN, bon gré mal gré, ne pourrait plus faire autrement qu’autoriser la prolongation de la durée de vie des réacteurs [^4], estime Denis Baupin. « EDF a indiqué ne pas avoir de “plan B”. Bluff ? Quoi qu’il en soit, on ne peut laisser cette entreprise, qui défend d’abord son intérêt économique, préempter les choix énergétiques du pays. »
[^2]: Âge moyen du parc : 28 ans.
[^3]: Soit 8,5 milliards pour l’EPR de Flamanville (Manche) en construction.
[^4]: Dont le pays dépend aujourd’hui à 75 % pour sa production électrique.