Les deux armes de Poutine

Après l’amorce d’un dialogue avec Kiev, le Président russe garde deux atouts redoutables : l’insurrection dans le Donbass et le gaz.

Denis Sieffert  • 12 juin 2014 abonné·es

Le sort de l’Ukraine se joue toujours sur le double terrain diplomatique et militaire. À cette différence près que les deux évoluent de façon contradictoire. Tandis que la diplomatie est de plus en plus porteuse d’espoir, le militaire vire à la voyoucratie et au brigandage. Alors que Vladimir Poutine et le nouveau Président ukrainien, Petro Porochenko, donnent des signes encourageants de dialogue, les séparatistes pro-russes versent de plus en plus dans la rapine et le meurtre. Dans l’est du pays, des observateurs internationaux, des journalistes, des militants pro-ukrainiens ou de simples citoyens suspects d’être favorables à Kiev sont arrêtés ou enlevés par les miliciens séparatistes. « On évalue à deux cents le nombre de personnes détenues illégalement », estime Maria Oliinik, de l’organisation des droits de l’homme Prosvita. Selon un rapport de l’ONU, ces cas de « meurtres, tortures, passages à tabac, enlèvements et actes d’intimidation proviennent pour la plupart de groupes antigouvernementaux bien organisés et bien armés ». Mais, dans le chaos ambiant, certains groupes armés semblent échapper au contrôle des chefs séparatistes. Par ailleurs, des heurts fréquents continuent d’opposer les séparatistes à l’armée ukrainienne dans les régions de Donetsk et de Lougansk. Les séparatistes avaient, lundi, le contrôle d’une partie de la frontière avec la Russie.

Sur le plan diplomatique, les célébrations du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie ont été l’occasion d’un rapprochement, et même d’un bref dialogue, entre les Présidents russe et ukrainien. En grande partie, il faut le dire, grâce à Angela Merkel et surtout à François Hollande, qui a eu raison d’inviter Vladimir Poutine aux commémorations, non seulement en reconnaissance de la part prise par l’Union soviétique dans la victoire contre le nazisme, mais aussi, évidemment, parce que c’était l’occasion de nouer un dialogue jusque-là impossible. La Russie a d’ailleurs fait un pas important en dépêchant à Kiev son ambassadeur à la cérémonie d’investiture du Président ukrainien, élu le 25 mai. Si ce n’est pas une légitimation, cela y ressemble fort. Une partie importante se joue aussi sur le plan économique. Moscou menace Kiev de lui couper l’approvisionnement en gaz si le nouveau pouvoir ukrainien ne règle pas immédiatement sa dette au géant russe Gazprom. Si la Russie passait à l’acte, cela risquerait aussi de perturber gravement l’approvisionnement de l’Europe. Le débat porte sur les tarifs fixés par Moscou, fortement augmentés après la révolution de la place Maïdan, qui avait chassé du pouvoir le Président pro-russe Viktor Ianoukovitch. L’échec de ces négociations pourrait rapidement rejaillir sur le plan diplomatique. C’est peut-être dans cette perspective que Vladimir Poutine préfère garder deux fers au feu, en continuant, semble-t-il, d’approvisionner en armes les milices pro-russes du Donbass. Sauf à imaginer que celles-ci échappent complètement à son contrôle, ce qui est difficilement imaginable. Isolé diplomatiquement, Poutine a toujours deux armes en mains : l’insurrection et le gaz.

Monde
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